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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/323

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SÉAILLES. — philosophes contemporains

des relations de phénomènes, qui nous laisse sur la terre, mais qui ne supprime l’absolu que pour sauver la morale et la liberté, répondait mieux tout à la fois et aux doutes spéculatifs et aux exigences pratiques d’une époque comme la nôtre, scientifiquement si riche, moralement si besogneuse.

Il s’agit moins d’être suivi que d’avoir raison. Si vraiment le système de M. Lachelier rend tout intelligible, il n’y a qu’à s’y tenir. Sans doute le monde devient l’objet d’une science universelle, nécessaire ; mais peut-on dire qu’il soit intelligible ? Non, si, comme le dit M. Lachelier, il n’y a de vraiment intelligible que le bien. Le monde n’est qu’un tissu d’apparences et d’illusions, en dernière analyse, il est absurde, parce qu’il est mauvais. La pensée du moins, qui est l’absolu, doit être tout entière pénétrable à l’intelligence. Tant que nous l’étudions dans la vie moyenne, en rapport avec l’objet qu’elle se donne, nous saisissons sa nature et ses lois. Dès que nous prétendons l’atteindre en elle-même, nous ne connaissons d’elle que son nom. Elle est l’unité, la pensée pure, la liberté absolue, définitions peu instructives, que l’analyse ramène à des négations. Quand nous avons dit qu’elle est ce qui est, qu’elle concentre toute réalité, qu’en elle cesse toute diversité, nous avons épuisé notre connaissance. C’est le Dieu des Alexandrins, dont on ne peut rien dire, sinon qu’il est, encore à la condition de supprimer tout ce qui pour nous définit l’existence. Si le sujet et l’objet nous semblent également obscurs, leur rapport du moins nous est-il intelligible ? Pouvons-nous aller de la pensée au monde ? Non. Dieu s’est fait nature. Pourquoi ? Nous l’ignorons. Si nous ne pouvons comprendre cette déchéance de Dieu, du moins n’est-elle pas contradictoire ? Ou la liberté absolue, principe des choses, n’est qu’une puissance indifférente, qui peut être ceci ou cela ; mais alors cette puissance n’est que la matière d’Aristote, et le monde et la vie sont des progrès, des réalités supérieures qui n’ont pas à s’anéantir devant l’indéterminé. Ou cette liberté absolue est en même temps la perfection souveraine ; mais la perfection ne laisse rien en dehors d’elle, et sa déchéance n’est pas seulement au-dessus de la raison, elle est inintelligible et monstrueuse.

L’idéalisme absolu se résume en cette formule : Esse est percipi, l’être se confond avec la connaissance. La conséquence logique d’un tel principe, ce serait l’égoïsme transcendant, la divinité’d’une intelligence superbe anéantissant tout devant soi. L’homme s’effraye de cette solitude ; sous une forme ou sous une autre le philosophe rétablit la société des esprits. Mais où s’arrête l’esprit ? M. Lachelier reconnaît que la pensée se divise « en une infinité de sujets sentants »,