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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/342

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même valeur, il faut s’arrêter à ce dualisme où aboutit nécessairement la théorie de la connaissance. Nous ne devons pas aller au delà ; nous ne devons pas même supposer, avec M. Herbert Spencer, que ces deux termes, la chose en soi et la conscience, s’unissent dans l’inconnaissable, L’absolu, la substance ou l’inconnaissable sont nés de notre besoin de clore la série toujours inachevée des phénomènes et de trouver un explication dernière. Contentons-nous de faire la théorie de la connaissance, d’en déterminer la valeur, les facteurs, et nous affirmerons simplement l’existence d’une chose en soi, indépendante de nous, mais indispensable autant que notre propre conscience à la production des phénomènes connus.

Cette démonstration de l’existence de la chose en soi vaut, il me semble, ce que vaut la doctrine évolutionniste de la genèse des formes de l’esprit. La prétention de donner au principe de causalité une portée objective, de justifier ainsi ce raisonnement : Il y a des phénomènes ou des apparences, donc quelque chose est, qui apparaît, cette prétention de réhabiliter le noumène me paraît chimérique. Kant s’est contredit en aboutissant au dualisme, après avoir démontré, d’une manière irréfutable, le caractère purement subjectif de la loi de causalité. M. Cesca et les réalistes contemporains commettent à leur tour, si je ne me trompe, un cercle vicieux. Pour prouver que le principe de causalité et à la fois à priori et à posteriori, qu’il est à la fois un produit de l’activité de l’esprit et un produit de l’expérience, ne faut-il pas admettre déjà l’existence d’un agent extérieur ? Et, si cette existence est d’abord admise, en quoi le principe en question nous servira-t-il à prouver qu’il faut l’admettre en effet ? En réalité, ce n’est plus à un principe que nous avons affaire, c’est à une conséquence, et je ne vois pas comment une conséquence peut aider à poser les prémisses. Les réalistes commencent par affirmer la chose en soi, puisqu’ils expliquent par elle tous les états de conscience, toutes les formes de la connaissance, ils ne peuvent pas à son tour expliquer leur affirmation au moyen d’une de ces formes, le principe de causalité.

Quant aux raisons tirées de l’astronomie, de la géologie et de la biologie, pour conclure à l’existence d’une chose en soi, peut-être sembleront-elles un peu puériles à ceux qui comprennent bien la doctrine idéaliste. Les préoccupations de ce genre ne servent qu’à fausser le véritable esprit philosophique. Il faut savoir que la philosophie et la science considèrent les mêmes objets de deux points de vue opposés, la première comme pures modifications du sujet, l’autre comme phénomènes, abstraction faite de tout caractère objectif ou subjectif, et pour en connaître seulement les relations mutuelles. La métaphysique, inséparable de toute théorie de la connaissance, ne sera jamais arrêtée par les progrès des sciences dans sa tâche propre, qui est de donner aux faits leur interprétation la plus haute et de ramener les lois du monde physique aux lois mêmes de l’esprit.

A. Penjon.