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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/359

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FOUILLÉE. — arguments en faveur du libre arbitrie

volonté est conforme au motif sous la représentation duquel se produit l’acte[1] » ; mais il nie « le caractère de nécessité des jugements qui s’enchainent dans une délibération[2]. » « Si l’acte n’est pas nécessaire… c’est que le dernier jugement n’est pas non plus nécessaire… En un mot, dans une vraie délibération où tout l’homme est en exercice, les jugements sont aussi des actions[3]. » — « Admettons qu’un motif est toujours voulu, c’est-à-dire évoqué maintenant parmi d’autres motifs également possibles ; et l’argumentation du déterminisme est à l’instant renversée[4]. »

À l’instant nous semble un peu rapide : suffit-il de reculer la difficulté pour qu’elle soit à l’instant supprimée ? On songe ici involontairement au raisonnement indien : — Qui soutient la terre dans l’espace ? — Une tortue. — Mais qui soutient la tortue ?… Les motifs expliquent la volonté, mais qui explique les motifs ? De deux choses l’une : ou ces motifs auxquels la résolution se conforme toujours sont les résultats de lois mentales nécessaires, et alors la résolution même tombe sous ces lois ; ou ils sont le résultat d’une détermination de la volonté ; dans ce second cas, ils deviennent des actions comme d’autres, puisque « les jugements sont aussi des actions ; » on peut donc leur appliquer le même raisonnement. Étant donné un certain ensemble de motifs et de mobiles, qui expriment l’état de l’agent à un moment donné, vous reconnaissez qu’il n’en peut sortir « qu’une seule action[5] » ; de même, ajouterons-nous, il n’en peut sortir qu’un seul motif nouveau, puisque le motif est lui-même une action. Si on le nie, au cercle vicieux s’ajoute une contradiction.

Les motifs sont comme les côtés d’un parallélogramme de forces, l’action en est la diagonale ; on nous concède que la diagonale est la résultante nécessaire des côtés, mais on soutient que les côtés eux-mêmes peuvent être libres et modifier spontanément leur direction. Soit ; mais avez-vous montré que les côtés ne sont point eux-mêmes des diagonales et des résultantes d’un parallélogramme caché plus profondément, par cela même invisible ?

Pour sortir de ce cercle, il ne suffit pas de recourir à l’image de l « évocation », qui précisément ne représente qu’une fiction de l’esprit. La volonté, nous dit-on, se conforme toujours à ses motifs, mais elle a le pouvoir d’ « appeler », d’ « évoquer » ces motifs mêmes ; elle n’est donc pas indifférente, puisqu’elle agit selon ses motifs ; et elle

  1. Voir la réponse de M. Renouvier à nos premières objections contenues dans l’Idée moderne du droit (Critique phil., 1879. No 31).
  2. id., p. 148
  3. Ibid., p. 119.
  4. Essais, Ibid., p. 71.
  5. Ibid.