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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/361

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FOUILLÉE. — arguments en faveur du libre arbitrie

II. Synthèse et analyse artificielles dans l’indéterminisme phénoméniste— Une difficulté reculée n’est pas une difficulté résolue. L’indéterminisme phénoméniste, il est vrai, ne se borne pas à reculer la difficulté : il l’enlève du point précis où l’on aurait pu la saisir et la répand sur l’ensemble des phénomènes internes en disant que la volonté libre est déjà dans tous les motifs et mobiles[1]. C’est ce qu’il appelle une synthèse naturelle, par opposition à l’analyse e artificielle » des indifférentistes et des déterministes qui, à l’en croire, brisent également l’unité humaine. Parler ainsi, c’est confondre l’analyse factice et fausse des Écossais ou des éclectiques, qui aboutit à des « facultés », avec l’analyse naturelle et scientifique des déterministes, qui aboutit à des lois. Dire avec les Écossais que l’intelligence conseille la volonté, c’est sans doute personnifier des abstractions ; mais montrer, avec les déterrainistes, que les lois de la succession des désirs et des idées sont identiques aux lois de la succession des actes et mouvements, ce n’est pas briser l’homme en « facultés ». La direction suivie par un mobile à beau être une : le mécanicien n’en a pas moins le droit de décomposer les forces composantes qui l’entraînent ; on ne l’accusera pas pour cela de séparer et de « personnifier » des forces inséparables. Vous refusez de considérer à part les éléments et les lois d’une volition, sous prétexte que c’est le « tout » qui est libre ; mais on aura toujours le droit d’opposer l’analyse à cet artifice de synthèse. Cette fusion trop voisine d’une confusion ne fait que déguiser la difficulté en mêlant les termes du problème. Supposons, pour prendre un exemple sensible, qu’il y ait dans un vase une couche d’eau et au-dessus une couche de vin plus légère qui surnage : un chimiste prétend, après analyse, que le vin ne peut provenir de l’eau, ayant une composition

    il considérait seulement les formes nouvelles que prend un mécanisme toujours soumis aux mêmes lois de causalité. Supposez un kaléidoscope que l’on tourne : les images qui se succèdent seront chacune, en ce sens, une création formelle, une forme indépendante de celle qui la précède ; pourtant ce seront toujours les mêmes lois mécaniques et géométriques qui produiront ces formes changeantes. Telle nous semble cette liberté que M. Lachelier représente, non sans exagération, comme un monde né de rien et absolument indépendant, comme une liberté « au sens le plus rigoureux du mot » ; si c’est là une liberté, c’est plutôt, selon nous, au sens le plus large. Toute différente est la liberté dont parle M. Renouvier : c’est une création d’idées sous le rapport de la causalité même et non pas seulement de la finalité. J’avais en moi tels et tels motifs ou passions en conflit : tout à coup jaillit spontanément un nouveau motif, une nouvelle passion, une image de kaléidoscope non seulement nouvelle en sa forme, mais indépendante en son origine du mouvement qui fait tourner le kaléidoscope, des lois géométriques de ses images.

  1. « Contestons qu’au delà des impressions reçues et passives il se pose jamais, dans la délibération proprement dite, un motif où ce qu’on appelle volonté n’entre déjà comme élément. » (Renouvier, Essais, p. 71.)