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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/369

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FOUILLÉE. — arguments en faveur du libre arbitrie

psychique, mais l’hypothèse du libre arbitre n’est nullement la seule possible pour expliquer cet état psychique. M. Renouvier[1] oublie les passions, les instincts, les sentiments, les « perceptions confuses », les mille causes grandes ou petites qui peuvent incliner le jugement, produire ou achever la croyance, alors même qu’il n’y aurait pas le moindre libre arbitre. Les criticistes font une « énumération incomplète » des hypothèses possibles. De ce qu’un objet n’est pas blanc, a-t-on immédiatement le droit d’en conclure qu’il soit noir ? Il peut être rouge, vert, etc. De même, de ce que la croyance n’est pas l’œuvre d’une nécessité purement logique ni d’une action nécessaire de la chose en soi ou de l’objet sur la pure pensée, il n’en résulte pas immédiatement que la croyance soit libre ; elle peut être l’œuvre d’une nécessité passionnelle, sentimentale ; elle peut résulter du caractère, des habitudes, de l’éducation, etc.[2]. Mais c’est alors, répète-t-on que toutes les croyances seront indiscernables en tant que nécessaires. — Le fussent-elles sous ce rapport, elles ne le seraient pas pour cela sous tous les autres rapports. Les effets sont indiscernables en tant qu’ils ont tous des causes ; il n’en résulte pas qu’ils soient indiscernables par ailleurs et qu’une maladie nécessaire soit indiscernable d’une santé

  1. Et aussi MM. Egger et Brochard, qui le suivent en ce point.
  2. M. Egger, remarquant que, dans l’induction scientifique, nous affirmons au delà de ce que peut atteindre « la démonstration complète », en conclut que la certitude n’est obtenue qu’à l’aide d’une « force irrationnelle », qui achève ce que la raison a commencé. Jusque-là, l’opinion peut se soutenir, quoiqu’il n’y ait rien d’irrationnel à admettre que, si j’ai vérifié la loi de Mariotte pour 2, 3, 5, 6, 7 atmosphères, elle ne doit pas cesser brusquement dans l’intervalle de 2 atmosphères à 3 ou de 4 à 5. Admettons pourtant une force irrationnelle : pourquoi ne serait-ce pas simplement la vitesse acquise, comme quand où dépasse le but en s’élançant avec énergie ? pourquoi ne serait-ce pas le besoin de conclure, de prendre un parti, etc. ? ou plutôt, au lieu d’une force irrationnelle, pourquoi ne serait-ce pas une application rationnelle soit de la loi de continuité, soit de la loi d’économie, etc., etc. ? M. Egger, lui, conclut à la liberté. « L’esprit se résout, dit-il, à négliger les dernières objections qu’il conçoit encore, il ne veut plus les considérer. » — Soit ; mais se résout-il librement ? Veut-il librement ? C’est ce qu’il faudrait démontrer. « La certitude en matière de science inductive, ajoute M. Egger, n’est jamais que la limite préconçue et préadoptée de la probabilité croissante. » Définition très ingénieuse, mais d’où ne résulte pas que, pour passer à cette limite, qui n’est pas donnée objectivement, la seule force subjective et psychique soit un acte de libre arbitre. Dans toute cette discussion, on ne sort pas du λόγος ἀργὸς qui prétend nous réduire à l’inertie intellectuelle. M. Egger répond que les mobiles, comme le besoin de repos et l’amour de l’ordre, seraient insuffisants à asseoir l’esprit dans la certitude tandis que la liberté peut seule anéantir l’objection en n’y pensant plus. Le procédé est trop expéditif. Il ne suffit pas à un général de fermer les yeux devant une armée d’adversaires pour l’anéantir. La foi seule, et surtout la foi aveugle, se cache la tête, comme l’autruche dans le sable, pour ne pas voir ce qui la menace ; qu’on appelle cette méthode foi nous y consentons ; mais nous ne pouvons : voir là « la certitude scientifique ».