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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/38

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facile de voir que cette façon d’interpréter les croyances du sens commun donne gain de cause aux sceptiques. Voici en effet quelles sont les conséquences de cette supposition. Nous avons d’une part la pensée avec ses déterminations propres et internes, qui représente l’objet et qui ne l’est pas ; d’autre part, l’objet, dont la pensée est l’image, mais que la conscience n’atteint ni n’enveloppe. Il en résulte ceci : d’abord l’objet, que ce soit le monde ou mon âme, est extérieur à la pensée ; ensuite la perception n’est que l’image de cet objet substantiellement distinct de moi, et l’objet même, qui est moi, en tant que substance, échappe entièrement à la conscience. Or c’est précisément ce que demandent les sceptiques. On leur dit ensuite qu’ils doivent croire à l’existence de cet objet. Mais, répondent-ils avec raison, de quel droit l’affirmez-vous ? S’il y a, selon vous, deux termes en présence : le sujet, l’objet ; le premier est ma pensée, le second une réalité extérieure à ma pensée. Comment donc voulez-vous que ma pensée sorte d’elle-même, pour penser hors d’elle quelque chose qui lui soit étranger ? Cela est absurde et contradictoire. Vous m’’alléguez des penchants, des inclinations ; prouvez-moi que ces penchants sont légitimes. Ou plutôt n’essayez pas de le faire, car, lorsqu’une fois on a lâché l’objet extérieur, il est impossible de le rattraper. Donc cette thèse dogmatique est éminemment favorable au scepticisme, ou plutôt elle est le scepticisme même[1]. » La philosophie éclectique a eu le tort de ne se soucier que des conséquences. Les conséquences dépendent des principes. C’est une grande faute de faire de la philosophie non plus une libre recherche, mais un art compliqué de satisfaire aux besoins pratiques, aux nécessités sociales ou aux convenances religieuses[2].

II

Les deux routes qui s’offraient à nous finissent en impasses. Comment ouvrir ou découvrir une voie nouvelle ? Les phénomènes ne nous suffisent pas, et nous ne pouvons sortir des phénomènes. Que

  1. Cours de logique professé à l’École normale, L. XVII : Du scepticisme.
  2. Pour porter sur l’éclectisme un jugement équitable, il faut le considérer moins comme un système philosophique que comme un fait historique. Rien n’est plus propre à nous éclairer sur les sentiments des hommes qui ont espéré concilier les principes de la Révolution avec les traditions monarchiques et religieuses. Ils ont échoué, mais leur œuvre était raisonnable, légitime, historiquement nécessaire. M. Lachelier prend l’éclectisme pour type de toutes les philosophies qui donnent à la pensée un objet distinct à la fois des phénomènes et de la pensée elle-même.