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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/39

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SÉAILLES. — philosophes contemporains

faire ? Nous n’avons pas du moins l’embarras du choix : « en dehors des phénomènes et à défaut d’entités distinctes à la fois des phénomènes et de la pensée, il ne reste que la pensée elle-même[1]. » C’est à cette conclusion qu’aboutit la dialectique négative. Nous cherchions la réalité hors de nous, elle est en nous. L’empirisme passe à côté de la philosophie sans la voir, il n’est que la méthode inductive appliquée aux phénomènes de l’esprit. L’induction suppose des principes, qu’elle ne justifie pas. La philosophie ne consiste pas davantage à chercher dans l’esprit des idées, innées, tombées du ciel par miracle. Comment prouver que ces idées innées ne sont pas des habitudes enracinées, des illusions héréditaires ? Chercher non pas quelles sont les origines historiques d’une idée, mais quelle est sa valeur, son rôle, son rapport aux autres idées et à la pensée même ; rendre tout et réel et intelligible, en ramenant tout à des déterminations de la pensée ; au terme, ne laisser qu’un système, qu’un édifice d’idées logiquement impliquées, voilà le problème philosophique. La philosophie « accouche » l’esprit ; elle le révèle à lui-même ; elle lui apprend ce qu’il fait et ce qu’il est ; elle le contraint à tirer de soi les idées et les principes qui, par leur combinaison, créent un univers intelligible. Elle est une logique, logique à priori, qui se confond avec la métaphysique, comme la réalité avec la connaissance.

Le problème, en se posant, impose la méthode. La dialectique négative ne nous laisse que la pensée. « La plus élevée de nos connaissances n’est, dans cette hypothèse, ni une sensation, ni une intuition intellectuelle, mais une réflexion par laquelle la pensée saisit immédiatement sa nature et le rapport qu’elle soutient avec les phénomènes. C’est de ce rapport que nous pouvons déduire les lois qu’elle leur impose et qui ne sont autre chose que les principes[2]. » Un disciple de Reid pourra se sentir repris par les inquiétudes de son maître : « Qui m’assure que l’univers que je pense soit l’univers qui existe ? » Un univers dont nous ne savons rien n’existe pas pour nous. La pensée n’est pas une faculté vide, un pouvoir qui existerait sans s’exercer. Rentrant en nous-mêmes, nous ne saisissons pas un je ne sais quoi, distinct des phénomènes, sans rapport avec eux. Nous saisissons la pensée à l’œuvre, riche d’idées, pleine du monde qu’elle contient. Nous ne sommes pas dans l’abstraction, nous sommes au cœur de la réalité. Le réel, c’est l’intelligible. « Si les conditions de l’existence des choses sont les conditions mêmes de la possibilité de la pensée, nous pouvons déterminer ces conditions

  1. Du fondement de l’induction, p. 43.
  2. Du fondement de l’induction, p. 44.