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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/40

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absolument à priori, puisqu’elles résultent de la nature même de notre esprit ; et nous ne pouvons pas douter d’autre part qu’elles s’appliquent aux objets de l’expérience, puisqu’en dehors de ces conditions il n’y a pour nous ni expériences ni objets[1]. »

L’œuvre de la réflexion, c’est de donner l’existence au monde et au moi : les deux termes sont inséparables. Je suis la pensée du monde ; si le monde est réel, je suis réel ; s’il n’est qu’une vaine apparence, je suis quelqu’un qui rêve. « L’incohérence au dehors, c’est la folie au dedans[2]. » La science n’est possible que si tout peut être compris, et l’esprit ne peut embrasser l’univers, sans sortir de lui-même, que s’il le crée. Dire que les lois de la pensée sont les lois de l’être, c’est dire que la pensée est le principe de tout ce qui est. Ce principe, nous le saisissons en nous par la réflexion, éternel, absolu, infini ; il est nous-mêmes ; exister, penser, donner la réalité au monde, c’est se voir et tout en Dieu. Le problème grandiose, inévitable, se précise et, en se posant, laisse entrevoir sa solution. Se donner l’être et aux choses ; justifier la science ; fonder la morale en saisissant l’esprit dans son rapport à tout ce qui apparaît et à l’être même ; du même coup voir Dieu, le découvrir au fond de soi comme la réalité éternelle, comme un rayon non détaché des clartés suprêmes, voilà le problème un et multiple de la philosophie, qui, par la réflexion, selon les procédés lents et sûrs de la dialectique, doit aller de la pensée à tout ce qui est, pour être ramenée de tout ce qui est à la pensée seule et partout présente.

Quelles sont les conditions de la pensée ? tel est donc le problème à résoudre. La pensée suppose d’abord un objet ; la science, quelque chose à savoir. On imagine le plus souvent deux termes en présence, le sujet, l’objet. On oppose à l’esprit inétendu le monde étendu, et on explique la connaissance par leur rapport, union mystérieuse des contraires. La perception externe n’est pas cette reproduction étrange et servile de choses sans rapport avec la pensée. Percevoir, c’est ajouter aux sensations l’idée d’extériorité, c’est les transformer par la notion d’espace[3]. Le monde n’est pas fait, nous le créons en le percevant. L’espace, c’est nous. Ne laissez que des impressions, odeurs, saveurs, résistances ; il n’y a plus de monde externe, parce qu’il n’y a plus détendue. À mesure que de nouvelles sensations se présentent, l’espace se déploie en moi. Comme rien ne l’épuise,

  1. Du fondement de l’induction, p. 48.
  2. Cours de psychologie, 11e leçon : De la pensée.
  3. J’emprunte cette théorie de l’espace et du temps à une leçon sur Kant que en 1875 aux élèves de la section de philosophie, 3e année, ch. Psych. 14e leçon.