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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/390

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expressions équivalentes sans qu’il soit permis de demander comment l’être remplit l’espace — reconstituer avec ces éléments le tableau changeant de la nature et de la société, en passant du simple au composé par tous les intermédiaires que l’observation semble désigner et que l’imagination peut fournir pour suppléer aux lacunes de l’expérience — enfin, si décidément le mouvement et l’étendue ne suffisent pas, douer tout simplement les atomes des propriétés ou des forces nécessaires au but qu’on se propose, voilà la marche ; et c’est la meilleure possible, attendu qu’il n’y en a pas d’autre. Cette marche, qui va de simple au composé, de la pauvreté à la richesse, est indispensable à l’acquisition de la connaissance. La causalité joint chaque anneau de la chaine à l’anneau qui le suit, et si la causalité permet d’identifier cause et commencement, il faudra bien reconnaître que le plus vient du moins, et finalement, si l’on veut être logique, statuer que tout vient de rien.

La contradiction inhérente à cette dernière thèse, ou du moins la difficulté de l’accepter, détourne encore quelques esprits d’un phénoménisme exclusif, et, puisqu’il s’en faut confesser, nous partageons leur répugnance. Persuadé que ce qui paraît ne constitue pas la réalité véritable, mais que derrière l’apparence il y a quelque chose, une chose que nous ne saurions définir, précisément pour la raison qu’elle ne paraît pas (car paraître à la réflexion, c’est toujours paraître), nous ne voulons identifier ni l’ordre observé dans l’acquisition de nos connaissances, ni la suite des apparitions dans le temps réel ou imaginaire avec l’ordre des causes et des effets dans la réalité. Nous ne faisons pas sortir le plus du moins, et l’univers du néant ; nous ne cherchons pas le vrai dans le palpable, mais dans l’impalpable, et nous ne trouvons aucune peine à comprendre que l’ordre suivant lequel se produisent les réalités soit l’exact contre-pied de la succession des apparences.

Le phénoménisme tempéré d’un esprit vraiment scientifique pourrait, semble-t-il, se familiariser sans peine avec cette vue. Il place très haut l’intelligence, et n’ignore point l’importance de l’ordre moral, puisque le dévouement à la science est pour lui la suprême loi. Il fait donc plus de cas de l’invisible que du visible, il subit l’attrait de la cause finale. À prendre les termes consacrés d’esprit et de matière comme désignant l’ensemble des faits moraux et des phénomènes sensibles, le matérialiste, le spiritualiste et le phénoméniste affranchi du « préjugé de la substance », s’accordent à mettre l’esprit au-dessus de la matière, en raison de sa valeur supérieure. Par le fait, l’esprit est le but, la matière est le moyen pour les uns comme pour les autres. L’emploi conséquent du principe de