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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/391

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SECRÉTAN. — la métaphysique de l’eudémonisme

causalité, qui préside à toute recherche, ne conduirait-il pas à penser, si cette inférence était possible, que ce qui a plus de valeur et de dignité possède aussi plus de réalité ? Ne porterait-il pas à rapprocher l’être, la cause et le but, en laissant l’ordre sensible subsister comme apparence, comme effet et comme moyen ? Rien ne semble s’opposer à cette conclusion si naturelle, hors du préjugé peu défendable suivant lequel les procédés de la science naturelle formeraient la méthode universelle et devraient prononcer le dernier mot sur toutes choses. Autrement, elle n’entraînerait aucun changement dans l’ordre de succession des phénomènes, elle ne contredirait point à la construction matérialiste de la connaissance elle-même, non plus qu’à celle de son objet.

La discussion des détails réservée, nous pouvons donc accepter l’évolution transformiste comme la représentation d’ensemble la plus vraisemblable de la manière dont s’est produit le monde actuel. Avant d’établir en point de fait que l’apparition des premiers êtres organisés trouve son explication complète et suffisante dans l’instabilité de certaines combinaisons chimiques, il convient assurément d’attendre que, reproduisant ces combinaisons, la chimie en ait fait réussir des organismes élémentaires, puisqu’elle dispose de tous les corps simples dont ces organismes sont composés. Mais qu’on suppose ici l’intervention de forces supérieures, conscientes ou inconscientes, qu’on écarte cette intervention ou qu’on suspende à cet égard son jugement ; s’il est encore permis de s’en tenir à l’opinion commune suivant laquelle une matière inorganique aurait précédé les organismes dans le temps, il restera que l’organisme se dégage de cette matière inorganique. Lorsqu’on dit que certains mouvements moléculaires sont des actes conscients, ou se transforment en actes conscients, on énonce une proposition qui n’a pas de sens appréciable ; les progrès de l’histologie et de l’anatomie cérébrale n’ont pas déplacé d’un millimètre la difficulté de la transition ; mais l’impossibilité de rendre un tel passage intelligible n’empêche pas qu’au point de vue de l’observateur la pensée ne soit une fonction du cerveau. Dès lors, si l’existence du cerveau résulte d’une élaboration progressive de la matière dans la série des êtres organisés, il faut bien avouer que cette série, avec ses antécédents inorganiques, forme la condition de la pensée, et que l’ordre intellectuel, l’ordre moral portent sur l’ordre matériel comme sur leur base. Nous admettons tout cela sans marchander ; mais ce que nous ne saurions souffrir, en revanche, c’est que chacun arrête la réflexion au point précis où il lui plaît de la suspendre ; ce qui nous paraît absolument injustifiable, c’est qu’on parte, pour en tirer des conséquences uni-