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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/392

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verselles, de faits déclarés irréductibles et premiers par une sentence arbitraire. Ce que l’empirisme propose comme fondement de ses explications n’est qu’un état de fait hypothétique, sans valeur sérieuse aussi longtemps qu’il ne sera pas expliqué lui-même, aussi longtemps qu’on n’aura pas fait voir qu’il est appelé par les besoins de la raison. En supprimant la considération des causes finales, les naturalistes n’ont fait que se conformer aux exigences de leur étude ; car, la connaissance de la fin fût-elle possible, elle ne leur donnerait pas ce qui leur importe seul, l’enchaînement des effets et des causes. Mais entre cette abstraction volontaire et la négation des fins elles-mêmes, il y a un abîme, et cet abime, il faut l’a priori d’un dogmatisme violent pour le franchir.

Pour le sujet qui réfléchit, le monde inorganique tire sa valeur de l’organisme dont il fournit la base ; à son point de vue, l’importance du cerveau consiste en ceci qu’il sert d’organe à la pensée. D’autre part, le déterminisme, son indispensable guide, emporte que la nature propre et la distribution première des substances inorganiques devaient nécessairement amener les combinaisons dont sortent successivement l’organisme élémentaire, la substance nerveuse, le cerveau, la pensée, l’homme et l’histoire. Voici donc la thèse de la science qui veut former un tout des résultats fournis exclusivement par sa méthode, et se substituer à la philosophie, en niant tout ce que cette méthode ne lui donne pas :

« L’organisme, la vie, la beauté, l’intelligence, la morale, l’art, la civilisation, le génie et l’histoire étaient préformés de toute éternité et devaient nécessairement résulter des mouvements, nécessaires eux-mêmes, de particules matérielles. Ce qui nous paraît être la fin de la matière et la destination du mouvement préexiste en effet virtuellement dans le mouvement et dans la matière ; mais cette possibilité n’a point d’être : ce qui fait toute la valeur des choses pour notre esprit n’est qu’une apparence ; notre esprit lui-même n’est qu’une apparence ; l’unique réalité, ce qui seul subsiste, c’est la matière et le mouvement, deux quantités invariables. »

Une telle conception des choses est possible assurément, puisqu’un grand nombre d’esprits cultivés l’adoptent comme la seule avouable par la science ; mais elle n’est certainement pas la seule possible, et ne nous semble pas la plus satisfaisante. Est-ce une illusion résultant du préjugé ? nous la trouvons contradictoire en elle-même, et contraire aux conditions de la connaissance. Contradictoire en elle-même : suivant elle, en effet, les phases et les produits supérieurs de l’évolution tout ensemble préexistent et ne préexistent pas dans son point de départ hypothétique ; ils y préexis-