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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/394

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cessité de l’entendre ainsi ressorte de l’expérience. C’est donc une hypothèse dirigeante, une vue a priori, dont il est encore permis d’abstraire.

Si l’on s’affranchit de l’idée que toute connaissance étant sensation toute réalité proprement dite est nécessairement d’ordre sensible ; si l’on renonce à l’opinion, agréable sans doute à quelques savants, que toutes les questions dignes d’examen doivent être traitées et peuvent être résolues par les méthodes de la science, au sens étroit, on échappera facilement aux inconvénients logiques du transformisme matérialiste, sans être gêné par aucun des faits sur lesquels il s’appuie, et sans même avoir l’embarras d’en vérifier les allégations contestées, ce qui ne laisse pas d’être un avantage appréciable pour les ignorants. Le plus est-il compris dans le moins, la conscience dans le déplacement, le génie dans le carbone ? L’esprit est-il au fond de la matière, oui ou non ? À ces questions, nous l’avons vu, le transformisme vulgaire est contraint de répondre à la fois oui et non : implicitement oui, formellement non, sans qu’il lui soit permis d’échapper par quelque distinction à la contradiction qui le résume et qui le dévore. Un esprit libre du préjugé sensationniste distinguerait et répondrait : oui, l’esprit est au fond de la matière, de tout temps il y fut ; mais il n’apparaît qu’au cours de l’évolution.

Pour entendre cet esprit latent dans les choses, est-il nécessaire, est-il logiquement possible de statuer, avec des traditions aujourd’hui décriées, l’existence éternelle d’un esprit conscient hors des choses ? C’est une question ultérieure, dont l’examen n’est pas nécessaire en ce lieu. Mais, quoi qu’il en soit, sans apparaître au dehors, sans s’apparaître peut-être à lui-même, l’esprit est actif dans la nature dès l’origine, et pousse le monde à ses fins. L’invisible est la raison du visible ; la vraie substance du monde est le plan du monde ; le meilleur ne s’exprime ni ne s’aperçoit ; la fin suprême est aussi la cause première et l’origine de tout mouvement, comme le voulait le naturaliste macédonien, « le maître de ceux qui savent. ». Ainsi l’idée directrice qui, suivant un maître plus récent, Claude Bernard, préside aux opérations mécaniques et chimiques par lesquelles se forment et se conservent les êtres individuels, présiderait de même à leur succession progressive comme à l’entretien de leur habitation. Cette manière de voir ne saurait peut-être se développer sans quelque effort sur certains points, mais elle ne se heurte pas aux écueils où vient se briser la précédente.

À côté de cette étude importante, indispensable : la philosophie scientifique, il y aurait donc place encore pour la philosophie spéculative ; l’observation directe du sujet par lui-même conserverait une