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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/420

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part entre ce qu’il observe et ce qu’il imagine ; et de très bons esprits, témoins des effets fâcheux que produit l’abus de cette méthode, ont voulu en proscrire entièrement l’usage, sans tenir compte de la nécessité qu’il y a de la prendre comme point de départ. Les perceptions se présentent à nous dans des conditions plus favorables à l’observation. Le point de départ de l’opération mentale est une sensation, c’est-à-dire un état de conscience qu’on a le pouvoir de retenir et de modifier en agissant sur l’objet extérieur qui en est la cause. Du moment qu’on est maître de la sensation, on est maître de l’opération qui la suit. Ce seul fait confère à l’étude de la perception le caractère d’une observation scientifique.

Tous les livres de psychologie répètent aujourd’hui que la perception implique un raisonnement ; on peut considérer cette proposition comme d’une parfaite justesse ; mais il y a plusieurs manières de l’entendre, et, parmi ces manières, quelques-unes contiennent une erreur. Lorsqu’on dit que la perception se forme par un raisonnement, on entend dire par là que ce qu’il y a d’essentiel dans le raisonnement se retrouve dans la perception. Or le raisonnement est essentiellement une extension de nos connaissances ; lorsque nous raisonnons sur un sujet quelconque, nous accomplissons un travail dont l’effet constant et invariable est de transporter à un cas nouveau ce que nous savons exister dans des cas de même nature. Il est clair qu’à cet égard la transition est facile du raisonnement à la perception. La perception est, elle aussi, une extension de nos connaissances ; l’esprit qui perçoit infère, d’après le témoignage d’un de ses organes, par exemple de l’œil, que les objets possèdent encore d’autres propriétés, uniquement parce que notre expérience passée nous détermine à nous prononcer dans ce sens. Lorsque nous percevons que la flamme est un corps qui brûle et qu’en conséquence nous évitons d’en approcher la main, faisons-nous autre chose que de transporter au cas présent là coexistence que nous avons observée antérieurement entre le contact de la flamme et une sensation de brûlure ? Si humble que soit cette inférence dans son objet, elle aboutit au même résultat final que l’induction scientifique la plus vaste, elle étend ce qui a été observé dans des conditions antérieures à des conditions nouvelles de même nature. Mais en général on restreint l’assimilation à ce point. On pense que, si le résultat est le même, le procédé est différent. On s’imagine que si la perception est un raisonnement, c’est un raisonnement d’une nature à part, qui s’accomplit par un autre procédé que les raisonnements formulés en propositions verbales et que les raisonnements scientifiques. Ces dernières opérations, dit-on, consistent dans une comparaison de jugements ;