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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/421

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BINET. — le raisonnement dans les perceptions

elles s’accompagnent de propositions verbales, majeure, mineure et conclusion, qui marquent les différents termes du travail intellectuel ; elles supposent de la réflexion, de la délibération et une résolution finale comme un acte volontaire. Au contraire, le raisonnement de la perception s’opère par un procédé pour ainsi dire organique, dans lequel la volonté et la réflexion n’ont aucune part ; c’est le raisonnement devenu instinct.

Cette manière de voir nous paraît être le contre-pied de la vérité. La perception représente le procédé naturel de l’esprit par lequel nous raisonnons. Il n’y a point de différences, sinon de degré entre le raisonnement de la perception, raisonnement simple et en quelque sorte animal, et les démonstrations les plus compliquées et les plus abstraites, telles que celles dont on se sert dans les mathématiques ; il n’y a point deux manières de raisonner, il n’y en a qu’une seule[1]. Pour accompagner cette affirmation de preuves suffisantes, il nous faudrait entrer dans des développements qui sortiraient des limites de notre sujet ; mais nous pouvons renvoyer le lecteur aux ouvrages de M. Spencer. Cet éminent penseur a très bien montré que les analyses de raisonnements complexes que l’on trouve dans les traités de logique renferment des impossibilités psychologiques ; le syllogisme, en particulier, ne représente pas la marche que suit l’esprit pendant un raisonnement, il a tout au plus la valeur d’un procédé de vérification.

Les raisonnements par lesquels nous interprétons nos sensations appartiennent, dit-on généralement, à la classe des raisonnements inductifs ; c’est encore là une opinion qui me paraît devoir être rejetée. La perception n’est pas le résultat d’une induction, et la preuve, c’est que les conclusions que nous tirons des impressions sensorielles sont toujours particulières. Remarquons ce qui se passe dans les actes ordinaires de la vision ; lorsque nous voyons un objet extérieur, nous jugeons, d’après un certain nombre de données fournies par les sens, de la position qu’il occupe dans l’espace ; notre jugement s’applique à cet objet en particulier, et à cet objet seul. Nous pouvons accorder que le même jugement, s’il est vrai pour cet objet, est également vrai pour tous ceux qui se trouvent dans les mêmes conditions, par rapport à nous, car, en un certain sens, tout jugement particulier contient virtuellement un jugement général ; mais de fait nous ne nous élevons pas à cette conclusion générale, la conclusion particulière nous suffit. Le corps qui est présent à nos sens est le seul qui nous intéresse. Si l’on tient à faire rentrer l’acte psychique

  1. Helmholtz, Optique physiologique, p. 386.