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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/426

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entre deux termes. Raisonner, c’est unir : le seul défaut de cette définition — si c’est là un défaut — est de donner un schéma plutôt qu’une expression fidèle des phénomènes. On voit en premier lieu que dans l’exemple choisi, comme dans tous les exemples possibles de perceptions extérieures, l’association n’est pas établie entre deux termes, mais entre un nombre indéfini d’états de conscience. On voit en second lieu qu’il n’existe pas seulement une association, mais un nombre indéfini d’associations. Dans la suite d’inférences qui se produisent comme réponse à une impression sensorielle, la conclusion d’un inférence sert de prémisse à une autre, qui se comporte de la même manière vis-à-vis d’une troisième inférence : de sorte qu’il n’y a pas seulement un lien d’association unissant le groupe des sensations au groupe des idées, mais on entrevoit qu’il doit exister dans le groupe des idées des liens qui vont d’une idée à l’autre et forment ainsi une sorte de plexus très complexe. Ce n’est pas dans les faits psychologiques qu’il faut chercher l’unité et la simplicité. La pensée est le reflet fidèle des activités d’un tissu qui est à la fois le plus délicat et le plus complexe de tout l’organisme.

II

La première réflexion que suggèrent ces faits est si naturelle qu’elle est venue à l’esprit de tous les observateurs : c’est que le raisonnement est à beaucoup d’égards comparable une intuition. Dans l’exemple que nous venons de détailler, les attributs de l’objet vus par l’œil et les attributs inférés par l’esprit paraissent être placés sur la même ligne et connus de la même façon. La connaissance directe et la connaissance indirecte et inférée se ressemblent. Voir et raisonner paraissent deux opérations équivalentes : si le procédé est différent, le résultat est le même. Nous trouvons ici, si je ne me trompe, l’occasion de comprendre la signification véritable du raisonnement et la place qu’il doit occuper dans l’ensemble des opérations mentales. Dans l’intelligence, toutes les parties concourent à la connaissance du monde extérieur ; le raisonnement, en particulier, a pour but de suppléer les organes sensoriels pour les objets que ceux-ci ne peuvent appréhender, il agrandit de la sorte la sphère des choses capables d’agir sur notre sensibilité. Ainsi le raisonnement, appliqué aux choses de la vue, nous permet de connaître ce que l’œil, à un moment donné, ne saisit pas ; c’est une vision des objets absents. Il en est de même pour les choses du toucher ; le raisonnement nous fait connaître la nature des surfaces avant que les objets viennent en contact avec notre