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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/43

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SÉAILLES. — philosophes contemporains

la ramener à l’unité, qui seule donnerait l’existence à l’univers et à la pensée[1].

Comment se représenter « l’unité du sujet pensant, et le rapport qu’il soutient avec la diversité de ses objets… Chercherons-nous cette unité dans celle d’une pensée repliée sur elle-même, qui se contemple en dehors du temps et de toute modification sensible[2]. » Quelle analogie entre cette pensée, renfermée en elle-même, étrangère à ses propres sensations, et notre pensée vivante, que les sensations pénètrent de toutes parts et dont l’unité se dégage de leur multitude. C’est l’unité et la variété, « ces deux faces de la médaille de Jupiter, » qui semblent se cacher l’une l’autre, qu’il faudrait saisir d’un même regard. La pensée n’est pas seulement l’unité, elle est l’unité dans la diversité. « Il ne suffit donc pas d’expliquer d’une manière plus ou moins plausible comment nous pouvons avoir conscience de notre propre unité ; il faut montrer en même temps comment cette unité se déploie sans se diviser dans la diversité de nos sensations, et constitue ainsi une pensée qui n’est pas seulement la pensée d’elle-même, mais encore celle de l’univers. La pensée se trouve donc placée en face de sa propre existence comme d’une énigme insoluble : car elle ne peut exister que si nos sensations s’unissent dans un sujet distinct d’elles-mêmes, et un sujet qui s’en distingue semble par cela même incapable de les unir[3]. »

Une solution reste possible, et une seule : c’est d’admettre que l’unité de la pensée n’est pas l’unité d’un acte, qui établit entre les sensations un lien extérieur et factice, « mais qu’elle résulte d’une sorte d’affinité et de cohésion naturelle de ces sensations elles-mêmes[4]. » L’esprit ne se met pas à la fenêtre pour regarder passer les phénomènes et saisir au passage leurs ressemblances. Si nous sommes uns, C’est que nos intuitions successives se fondent comme en une intuition unique. L’ordre de nos sensations reproduit l’ordre même des phénomènes : se demander comment elles s’unissent en une même pensée revient donc à se demander comment tous les phénomènes composent un seul univers et pour ainsi dire un seul phénomène.

Mais comment plusieurs choses, dont l’une n’est pas l’autre et dont l’une succède à l’autre, peuvent-elles cependant n’en former qu’une seule ? Il n’y a qu’une solution à ce problème. Admettons

  1. Logique, 1er leçon : De la science.
  2. Du fondement de l’induction, p. 50.
  3. id., pp. 50, 51.
  4. id., p. 51.