Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
423
BINET. — le raisonnement dans les perceptions

restent au-dessous d’un certain minimum, déterminé très exactement par les recherches psycho-physiques, ne s’accompagnent pas de conscience, ils s’accomplissent comme de simples fonctions du système nerveux. Il en résulte que, lorsque les diverses parties d’une opération mentale se succèdent rapidement et régulièrement, il n’y a point de conscience de chacune des parties isolément ; l’esprit saisit le résultat sans pouvoir se rendre compte des étapes successives que la pensée a traversées. Combien ne pourrait-on pas citer d’actes intellectuels qui paraissent simples parce que la conscience n’en voit pas le détail ! On comprend dès lors que, si l’on peut se placer dans des conditions telles que la perception soit ralentie dans sa marche, on pourra s’assurer directement que la perception n’est pas un acte simple et spontané, mais qu’elle se compose de plusieurs parties et a lieu en plusieurs temps.

Supposons que nous cherchions notre chemin dans une salle obscure, et que, arrivés près de la cheminée, notre main rencontre quelque chose de dur et de rugueux ; l’impression de toucher mettant aussitôt en activité, par une réaction réflexe, les groupes musculaires de la main, de l’avant-bras et du bras, nous chercherons à explorer le corps inconnu, pour apprendre quelle est sa grandeur, sa forme, sa résistance, son poids. Supposons que ces renseignements nouveaux ne nous éclairent pas sur la nature de l’objet ; notre connaissance ne dépassera guère la notion de certaines impressions tactiles unies dans un ordre défini à certaines impressions musculaires ; en dehors de la suggestion visuelle d’un corps étendu et de quelques autres idées élémentaires, il n’y aura ni interprétation des impressions reçues, ni raisonnement, l’apparence visible du corps touché ne jaillira pas dans l’esprit. Mais, au bout de quelque temps d’incertitude, il pourra se former un souvenir vague d’avoir déjà éprouvé les mêmes impressions de la main dans des occasions précédentes ; le souvenir se précisant, nous nous rappellerons que nous avons touché la veille, au même endroit, un coquillage de mer qui donnait aux doigts la même impression complexe de surface dure et garnie d’aspérités. Pendant un moment peut-être, ce souvenir sera pensé comme souvenir, sans être rapporté à l’impression présente ; puis, un moment après, notre attitude mentale changera ; le souvenir évoqué servira à interpréter l’impression actuelle ; l’image mentale du coquillage viendra se combiner à l’impression tactile ; nous aurons une perception.

En analysant l’opération que nous venons de décrire, on voit qu’elle se compose de trois parties bien distinctes : 1o une impression actuelle : c’est l’impression faite sur la main ; 2o la restauration