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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/437

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BINET. — le raisonnement dans les perceptions

renaissantes, qui n’ont jamais été expérimentées en contiguïté avec elle. Par quel procédé une association s’établit-elle entre ces deux états de conscience ? ce qui revient à se demander par quel procédé se fait l’œuvre du raisonnement, car le résultat psychologique de cet acte est essentiellement d’associer et d’unir. La réponse à cette question a été vaguement indiquée dans les paragraphes qui précèdent ; il reste à la formuler en termes explicites et à mettre en relief la propriété remarquable de la similarité que nous avons nommée la propriété de fusion. Appelons A l’impression actuelle d’un corps extérieur ; appelons A′-B la somme complète des impressions passées que le même objet extérieur a produites sur notre esprit ; dans cette somme, la lettre A′ désignera plus particulièrement les impressions anciennes qui sont identiques avec l’impression présente, et auquel nous conservons le nom d’état de conscience intermédiaire. Ceci posé, nous dirons que, lorsque l’impression A se produit, elle restaure par l’effet de la similarité le souvenir de l’impression A′ et se fusionne avec elle instantanément et sûrement ; les deux impressions n’en font qu’une pour la conscience, de même que les deux pointes de compas dans notre ancienne expérience sur la sensibilité de la peau. Puis l’impression A′ amène dans le champ de l’esprit la somme des impressions connotées par B, qui lui sont rattachées par les liens de la contiguïté. Or, comme nous savons que l’impression A′ s’est fusionnée avec l’impression A, il en résulte que l’esprit passe immédiatement de la conscience de A à la conscience de B ; l’impression A suggère directement l’impression B. C’est dire, en termes psychologiques, qu’il s’est formé une association entre ces deux états de conscience.

La supposition qu’il existe dans toute perception un état de conscience intermédiaire (A′) servant de trait d’union entre l’impression des sens (A) et l’impression de l’esprit (B) me paraît rendre claire une opération mentale qui, sans cette supposition, serait parfaitement incompréhensible ; c’est comme le mot qui, intercalé dans un texte mutilé, permet d’en comprendre le sens. En effet, remarquons qu’on peut retrouver dans les phénomènes de la perception ainsi reconstitués toutes les parties qui composent un raisonnement logique, en tenant compte, bien entendu, de la difficulté d’expliquer le simple par le composé et d’appliquer au raisonnement simplifié de la perception une analyse qui n’a pas été faite pour ce genre d’inférence.

En premier lieu, la perception contient les trois termes dont se compose essentiellement une inférence légitime ; ils sont indiqués dans notre analyse par les lettres A, A′ et B ; l’état de conscience