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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/439

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BINET. — le raisonnement dans les perceptions

états de conscience serait interrompue ; en un mot il n’y aurait pas de raisonnement. Nous comprenons ainsi comment il peut être suffisant de connaître une vérité expérimentale pour en tirer une conclusion, bien que cette vérité ne devienne pas l’objet d’un souvenir distinct, toutes les fois que l’esprit s’en sert. Nous comprenons, en d’autres termes, comment il peut se faire que les deux prémisses d’un raisonnement restent dans le domaine de l’inconscient, et que la conclusion seule arrive à la pensée.

Il resterait encore à faire remarquer que les grand, moyen et petit termes, B, A′, A sont distribués dans les deux prémisses et dans la conclusion selon les règles que l’on trouve observées dans tous les raisonnements ; nous laisserons au lecteur le soin de s’en convaincre par lui-même, car le fait est trop évident pour qu’il soit nécessaire d’insister.

Pour éclairer cette démonstration un peu abstraite par un exemple concret, revenons à la perception visuelle de l’orange, exemple qui nous a déjà tant servi. Nous avons pris pour point de départ cette observation que l’impression faite sur l’œil est suivie immédiatement par la représentation mentale des sensations de la vue et des autres sens que nous éprouverions en nous éloignant de l’orange, ou bien en faisant les mouvements nécessaires pour la saisir, la peser, le couper et l’examiner de toutes les façons. L’acte de l’esprit qui unit à l’impression actuelle de la vue cet ensemble de sensations possibles, c’est-à-dire cet ensemble d’idées, est, nous le savons, un raisonnement. Si l’hypothèse que nous venons d’exposer sur le mécanisme du raisonnement est exacte, voici comment les choses doivent se passer. Il faut d’abord admettre — et ceci ne souffre aucune difficulté — que notre esprit a réuni et associé graduellement, par des expériences précédentes, l’apparence visible de l’orange à toutes les espèces de sensations que ce corps agissant sur nos autres sens est capable de nous donner ; de telle manière que si, pour une cause ou pour une autre, l’image visuelle de l’orange vient à être représentée à l’esprit, cette image suggérera, en vertu de l’association formée, le souvenir des autres impressions que le même corps nous a fait éprouver. La seule condition nécessaire à cet effet, c’est qu’un nombre suffisant d’expériences soit intervenu (majeure du raisonnement). Cette condition étant réalisée, lorsque nous voyons devant nous une orange, l’image du fruit qui se fait dans l’œil doit rappeler l’image semblable qui existe dans notre mémoire ; mais ces deux impressions ne restent pas distinctes, elles se fusionnent, elles ne forment qu’une seule impression ; ce qui apparaît à notre œil, ce n’est pas le simple effet des rayons lumineux agissant actuellement sur notre rétine,