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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/459

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ANALYSES.caro. Littré et le positivisme.

ressé de toute espérance étrangère à la joie du devoir accompli, si grave et si ferme devant la méditation constante de la mort. Mais c’était un stoïcien d’un genre plus français que « romain », attristé souvent par la perte de ses illusions, attendri par la pitié, toujours entraîné cependant par la ferme volonté d’agir et par l’espérance d’être utile, plus stoïque enfin pour lui que pour les autres. Un trait sur lequel M. Caro insiste beaucoup, c’est la sincérité avec laquelle il revient sur ses idées, marque ses mécomptes, en cherche les causes, « mettant une partie de ses déceptions sur lui-même, au lieu de la mettre toute sur les autres » (la phrase est de M. Littré), puis en tirant cette leçon, d’une clarté et d’une autorité toujours croissantes à ses yeux, qu’il ne faut point hâter par la violence, même légale, le triomphe de ses idées. Par une loi d’optique bien simple, nul ne paraît, aux yeux de la foule, plus changeant que celui qui demeure ainsi immobile, ou du moins marche dans la ligne droite, tandis qu’elle-même se précipite d’un excès à un excès opposé. Elle crie à la désertion de ceux qui ne l’ont pas suivie dans le trouble et la contradiction de ses mouvements. Juge respectueux et même sympathique du passé, hostile à toutes les entreprises révolutionnaires « qui rompent brusquement l’enchaînement des générations », M. Littré pouvait répondre à de telles attaques qu’en persistant à demander la liberté pour les adversaires de toute sa vie, il restait plus que jamais fidèle à lui-même et à ses idées.

II. L’idée qui se dégage, bien précise et bien nette, de la seconde partie du livre de M. Caro, c’est que, par ses efforts même pour perfectionner la doctrine positiviste, M. Littré n’a fait que la décomposer. Fondée pour échapper aux idées purement négatives du xviiie siècle, l’école devait avec lui retourner à son point de départ ; car « l’exclusion des conceptions théologiques et métaphysiques, qui est bien évidemment une idée négative, est le seul dogme qui reste debout au terme de cette longue élaboration d’un demi-siècle, en même temps qu’elle est la raison la plus claire et la plus décisive de la popularité de cette école auprès du gros public, qui n’a pas le temps de regarder aux détails et aux nuances. »

Ce n’est pas ici un procès de tendance : c’est une démonstration expérimentale. M. Littré commence par scinder l’œuvre d’Auguste Comte, en rejetant toute sa tentative d’organisation politique et religieuse. Il croit d’abord que, une fois allégée de ce fardeau, la philosophie positive « suffit à tout, ne se trompe jamais, éclaire toujours. » Ainsi s’exprime-t-il dans un jour d’enthousiasme et d’illusion. Mais les passages bientôt surabondent où il en signale les lacunes et en avoue les nombreux mécomptes. Les lacunes d’abord : on ne trouve dans A. Comte ni économie politique, ni théorie cérébrale, ni psychologie. M. Littré a parfaitement raison ; mais, s’il a signalé ces lacunes, qu’a-t-il fait pour les combler ? Nous savons qu’on cherchera comme la synthèse de ces trois ordres d’études dans une science prétendue nouvelle et dont le nom revient bien souvent dans les derniers écrits de