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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/460

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M. Littré, la sociologie. Mais il est aisé de faire de cette sociologie deux parts, l’une qui comprend l’histoire des sociétés humaines, l’étude de la vie sociales, de ses organes et de ses fonctions ; l’autre à laquelle M. Littré tenait par-dessus tout, car il en attendait le salut et la victoire : c’est celle qui devait contenir les prévisions infaillibles fondées sur les lois dites positives du développement des sociétés. Or, de ces deux parties, la première est très loin, comme l’observe M. Caro, d’être aussi nouvelle qu’on le prétend ; et, quant à la seconde, elle est manquée. « Il est difficile de se tromper plus souvent et plus lourdement que ne le fit A. Comte, quand il voulut jouer au prophète, et M. Littré n’a pas manqué d’énumérer ces déconvenues avec une bonne foi qui est son honneur. » À quoi donc, ajoute M. Caro, se réduit cette sociologie si pleine de magnifiques promesses ? À une théorie du progrès humain, mais d’un progrès qui consiste pour l’humanité à se mettre d’accord avec « la force évolutive de l’histoire », c’est-à-dire, si l’on veut parler net, avec la fatalité. Les hypothèses même des partisans de la science positive, comme le transformisme, sont produits ou tenus en défiance. Où donc est ici le dogmatisme de l’école, où donc son originalité ? Mais, dira-t-on, n’est-ce pas quelque chose que de trouver dans les sciences la solution de tant de problèmes agités par la philosophie ? Ce serait même une grande chose et fort nouvelle. Mais d’abord le positivisme n’a pas la prétention de résoudre les problèmes qu’il déclare insolubles, comme ceux qui ont rapport aux origines de la sensation, de la vie, du mouvement, à la nature intime de la matière et de la force. Voilà bien des problèmes dont le souci a toujours été l’honneur de l’esprit humain et que le positivisme, quand il n’est pas en infidélité flagrante avec le principe de sa doctrine, voudrait tout simplement supprimer. Mais ce qui est plus grave, c’est que le positivisme est particulièrement impuissant à constituer, soit une psychologie, soit une morale. Stuart Millet Spencer peuvent être cités ici comme témoins de cette psychologie introspective dont M. Littré essaye en vain de se passer. D’autre part, il eût vainement fondé sa morale sur les seuls enseignements de cette nature qu’étudient les sciences positives. On sait quelles lois elle eût été obligée de nous proposer : loi de l’inégalité universelle, loi de la concurrence et de la lutte, loi de la survivance des plus forts et de l’extermination des plus faibles. Est-ce là ce que M. Littré met dans sa moralité ? Non, à coup sûr. C’est qu’il a fait sa morale avec son âme, non avec sa science positiviste. L’analyse des essais infructueux de M. Littré dans l’une et l’autre de ces deux oies est aussi décisive que respectueuse et délicate dans l’ouvrage de M. Caro. Elle nous amène tout naturellement à la troisième partie du livre, qui va fort au delà de M. Littré lui-même, car elle s’adresse non plus au positivisme proprement dit (il n’existe plus), mais à cette troupe confuse d’esprits négateurs et agressifs qui ne veulent rien laisser subsister en dehors de la science positive.

I. Que deviendra la vie humaine sous l’empire de cette foi exclusi-