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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/489

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bénard. — la vie esthétique

Cette émancipation, elle s’opère dans l’école romantique, qui elle aussi, en ce qui concerne du moins sa partie théorique, se rattache à l’idéalisme subjectif, sinon à Kant, à Fichte. Ici est proclamée la liberté absolue du sujet, du moi absolu, qui ne relève que de lui-même. Dans l’art, c’est l’affranchissement de toutes les règles, non seulement de celles qui sont relatives, passagères, étroites ou conventionnelles, mais de tout ce qui peut limiter ou gêner l’essor de l’imagination et du génie chez le poète ou l’artiste. Il y a plus, si du domaine de l’art et du beau, on passe dans celui de la vie active, les rôles de la morale et de l’esthétique sont renversés. Le problème est retourné. Ici, c’est la vie esthétique qui à son tour plane au-dessus de la vie morale ; celle-ci s’efface ou se subordonne. En effet, dès que l’esprit s’est rendu capable de s’élever à une certaine hauteur, inconnue au vulgaire, mais où le talent et le génie savent se placer, la vie apparaît sous un autre aspect. Les règles de la morale commune n’ont plus de valeur et cessent d’être obligatoires. Aux yeux des vrais romantiques, ce point culminant de la vie humaine, c’est celui que doit atteindre l’homme d’imagination, l’artiste ou le poète et d’où il contemple les choses humaines. C’est ce qui s’appelle la génialité divine, cet état qui constitue l’état habituel, le privilège de l’artiste véritable et de l’homme qui sait vivre en artiste et de la vie d’artiste. Pour celui qui est arrivé là, la morale n’existe plus. Du moins elle n’a plus rien à lui commander. Il peut s’abandonner sans crainte à tous les excès, comme à toutes les excentricités. Ses défauts ! et ses vices sont excusés, justifiés. Le feu sacré de la passion a tout consumé, purifié. La Lucinde de Fr. de Schlegel est la mise en action de cette théorie que d’autres ont avec moins de subtilité exposée dans leurs romans ou leurs écrits.

L’École de l’ironie dans l’art aurait à nous offrir des résultats analogues. La vie esthétique, la vie de l’imagination, y est donnée aussi comme le point culminant, le but suprême à laquelle doit s’élever l’artiste ou le poète. Celui qui est capable d’arriver à cette hauteur non seulement est indifférent, mais il se rit de tout ; il se moque de tout, non seulement des intérêts et du jeu des actions humaines, mais il se déclare affranchi des obligations vulgaires de la vie commune, morale, sociale et religieuse. Inutile de s’arrêter davantage à ces exagérations d’un principe dont les conséquences ont été développées ailleurs et étaient comme contenues en germe dans l’idéalisme transcendantal de Fichte.

Si nous voulions examiner les faces diverses que présente le problème de la vie esthétique dans les écoles qu’à produites la philosophie allemande et dans les systèmes sur le beau et l’art qui en sont