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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/52

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temps que la loi des causes efficientes, la loi des causes finales. Le mouvement n’a plus seulement sa raison dans un mouvement antérieur ; « il est le produit d’une spontanéité qui se dirige vers une fin, mais une spontanéité qui se dirige vers une fin est une tendance, et une tendance qui produit un mouvement est une force ; tout phénomène est donc non une force, mais le développement et la manifestation d’une force[1]. » La loi des causes efficientes implique la loi des causes finales. De même, le mouvement, qui est le symbole de la loi des causes efficientes, ne s’entend que par la force qui est le symbole de la loi des causes finales. Le corps ne se meut ni dans le lieu où il est, ni dans le lieu où il n’est pas ; l’argument des sophistes est irréfutable. L’idée du mouvement ne se suffit pas à elle-même ; elle suppose « la force en vertu de laquelle le mobile sort à chaque instant de la place qu’il occupe pour entrer dans une autre[2]. » Pourquoi le mouvement se continue-t-il, « sinon parce que chaque mouvement enveloppe une tendance à un mouvement ultérieur, et pourquoi cette tendance elle-même, sinon parce que chaque état de la nature ne s’explique que par celui qui le suit, et son existence tout entière par un progrès continu dans l’harmonie et dans la beauté[3] ? »

C’est en approfondissant le mécanisme de Descartes que Leibniz est arrivé à sa philosophie de la force : loin de s’opposer, les deux conceptions s’impliquent. La logique s’est exprimée dans l’histoire. De ce point de vue nouveau, le monde se transforme. À la loi des causes efficientes répondait un mécanisme absolu dans les phénomènes ; à travers l’infini de l’espace et du temps, dans le silence et la nuit, se déroulait une série sans fin d’équations équivalentes, et les théorèmes de la géométrie réelle enfantaient leurs corollaires. Cette inflexible nécessité pouvait bien constituer l’unité du sujet pensant, puisqu’en dernière analyse elle ne laissait subsister qu’un seul phénomène et qu’une seule pensée. Mais ce phénomène, c’était l’être indéterminé, et la pensée semblable à l’objet de la contemplation était triste, uniforme et morte. Nous avions les effrois de l’homme aveugle et sourd devant cette mathématique incolore et muette. En leur donnant l’harmonie, la loi des causes finales donne à l’esprit et au monde la réalité et la vie. La lumière se rallume, les nuances se varient, nous voyons ; les bruissements des formes qui s’ébauchent traversent l’espace, les vibrations des mouvements en accord retentissent : nous entendons. La nature endormie se réveille, touchée par la baguette magique de la beauté. Tout s’anime et se

  1. Du fondement de l’induction, p. 97.
  2. id., p. 97.
  3. id., p. 98.