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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/512

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en rapport avec les êtres spirituels et permettent d’exercer une action sur une autre ; comme tels, leur but est aussi directement pratiqué que celui de tout autre procédé chimique ou dynamique. » On voit l’analogie, au point de vue de la forme, entre les procédés de la magie et ceux de la science. Les êtres spirituels sont soumis à une sorte d’obligation physique ; leur conduite est déterminée par la conduite des hommes ; ils doivent agir d’une certaine manière. Nous trouvons ici l’état indistinct qui n’est ni l’obligation physique, ni l’obligation morale pure, car cet être, qui est contraint à obéir, peut cependant ne pas faire ce qu’on lui demande. Cette conception est contradictoire, sans doute ; mais les idées des hommes ne sont jamais bien rigoureuses, et nous verrons plus tard que des contradictions de ce genre subsistent encore. On a ainsi l’idée d’un être qui, bien qu’il doive naturellement agir dans un sens, peut cependant agir dans un autre. De là l’indignation qui s’empare de l’esprit de l’homme lorsque son attente est trompée, lorsque son Dieu n’agit pas comme il aurait dû agir, et les mauvais traitements exercés parfois contre un fétiche.

Un exemple que nous emprunterons encore à l’enfant peut, je crois, faire très bien comprendre l’état d’esprit primitif dont je parle et montrer combien il est vrai que cet état d’esprit contient le germe de l’obligation morale. On tâche d’apprendre aux enfants à parler poliment, et, à défaut de bons sentiments, on parvient quelquefois à leur inculquer des formules. On les habitue par exemple à ne faire aucune demande sans ajouter les mots « je vous prie » ou « s’il vous plaît », et il arrive ceci : l’enfant, voyant que ses parents repoussent ses demandes quand elles ne sont pas suivies des mots d’usage et les accueillent favorablement dans le cas contraire, en vient à prendre les mots de politesse qu’on lui a appris pour de véritables formules magiques. Ils emploient ces mots sans y attacher aucun autre sens que celui de la puissance qu’ils possèdent pour leur faire avoir ce qu’ils désirent, et ils s’indignent et se fâchent si l’on ne leur accorde pas ce qu’ils veulent une fois que la formule est prononcée. J’ai eu l’occasion, comme bien des gens, je pense, de constater le fait. On voit souvent, en ce cas, l’expérience engendrer une attente qui se transforme en une véritable obligation imposée, obligation qui tient le milieu entre une obligation physique et une obligation morale, car l’enfant tout en croyant que ses parents doivent céder, sait cependant qu’ils peuvent résister.

Une opinion exprimée par M. Tylor sur l’origine possible de la croyance aux charmes peut, je crois, être rapprochée avec intérêt de l’observation ci-dessus. Il me semble que les faits s’éclairent les