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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/513

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paulhan. — l’obligation morale

uns par les autres et que les hypothèses tendent à se confirmer, dans une certaine mesure au moins. « L’opinion bouddhiste, dit M. Tylor[1], en vertu de laquelle la répétition de ces sentences (il s’agit du moulin à prières) produit certains mérites, nous autorise peut-être à nous former une opinion qui trouverait une grande application dans l’étude de la religion et de la superstition, c’est-à-dire que la théorie de la prière peut expliquer l’origine des charmes. Les formules employées pour les charmes sont, dans bien des cas, de véritables prières et comme telles sont intelligibles. Quand ce sont, au contraire, de simples formules verbales produisant leur effet sur la nature et sur l’homme en vertu de causes inexpliquées, n’est-on pas autorisé à penser que ces formules étaient primitivement des prières transformées depuis en sentences mystiques ? »

Ainsi nous trouvons partout chez l’homme, chez l’enfant, dans les civilisations inférieures, et jusque dans des civilisations assez avancées des traces de cet état d’esprit indistinct encore, qui a probablement donné naissance par des différenciations successives à l’obligation morale d’un côté, à la conception du déterminisme scientifique de l’autre, et qui dérive lui-même du fait le plus général de la nature psychique, je veux dire de l’association.

Ce serait se tromper que de croire cet état primitif entièrement disparu dans notre société actuelle. Bien des raisons tendent à nous prouver le contraire, et bien des faits, en nous montrant la transformation ou la disparition soit de l’idée d’obligation elle-même, soit des préceptes auxquels elle s’applique, nous montrent de quelle façon elle a dû se former. D’abord, je crois qu’il reste toujours une tendance, chez l’homme, à imposer des obligations aux autres plutôt qu’à s’en imposer à lui-même. Je ne parle pas des cas où cette disposition est déterminée entièrement par l’égoïsme, mais seulement de la part que prend à une telle manière d’être le fait de considérer plutôt la conduite des autres que la sienne propre, en un mot, l’attention tournée plutôt vers le monde objectif que vers le monde subjectif. Ensuite les jugements que l’on porte sur les différentes personnes à propos de tel ou tel acte varient beaucoup avec l’idée que nous faisions à l’avance de leur conduite future. Un honnête homme semblera en général plus obligé à bien agir dans l’avenir que ne l’est un scélérat. On estimera un honnête homme qui dénonce un voleur. Un voleur qui en dénoncera un autre, en général, encourra plutôt le mépris que la reconnaissance ; on profitera de son service sans lui en savoir gré. Quand on est habitué à voir les gens

  1. Tylor, Civilisation primitive, II, 480.