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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/514

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agir toujours d’une certaine manière, on en vient à penser qu’ils doivent toujours agir ainsi ; on leur fait un véritable devoir, au sens moral, des habitudes prises. Et cette disposition persiste dans quelques cas, alors même que les habitudes prises sont contraires à la morale ordinaire. Sans doute, il ne faudrait pas exagérer ceci ; il est facile de comprendre que de fortes raisons d’intérêt personnel, d’altruisme, d’intérêt social aient fait accorder nos idées d’obligation et de devoir avec les sentiments moraux ; de plus, ces mêmes sentiments peuvent avoir une part d’influence dans certains des cas que j’ai signalés : ainsi un voleur qui trahit ses complices, tout en rendant service à notre société, fait un acte qui, considéré d’une manière abstraite, va contre l’existence d’une société ; cependant je crois aussi qu’il faut voir en partie, dans les faits de cette nature, un effet de l’habitude. Cette explication peut d’ailleurs se concilier, avec l’autre en ce sens que les nouveaux sentiments qui se forment ne détruisent pas ceux qui, existant déjà, ne s’opposent pas à eux et qui s’accordent avec eux. Bien certainement, il y a quelque chose qui nous choque, quand nous voyons certaines gens agir autrement que nous ne l’avions prévu, et, bien que la morale puisse n’être pas intéressée dans l’affaire, ce sentiment ressemble beaucoup à l’indignation que nous fait éprouver un acte qui nous paraît contraire à la loi morale.

Il faudrait rechercher maintenant ce qui a pu déterminer le passage de la forme inférieure de l’obligation à la formation de l’idée d’obligation dans la forme la plus élevée. Un seul des facteurs qui ont pu contribuer à cette évolution m’occupera ici : c’est celui que j’ai examiné jusqu’ici, l’attente. Il peut nous expliquer jusqu’à un certain point non seulement comment l’idée d’obligation naît, mais aussi comment elle se transforme.

Remarquons auparavant que le passage de l’obligation imposée aux autres à l’obligation imposée à soi-même s’explique assez facilement par l’analogie, la réflexion, les exhortations et les reproches de ceux avec lesquels nous sommes en rapport, etc.

Demandons-nous maintenant ce qu’est au juste l’attente d’un acte ? — C’est la représentation de cet acte comme futur, la localisation de cet acte dans une série de phénomènes non encore réalisés et qui peuvent se joindre par des intermédiaires au moment présent considéré comme le point de départ de la série. Plus la localisation sera nette et la représentation forte, plus l’attente sera vive. Nous voyons déjà les analogies de l’attente et de la volonté ; toute volition comprend l’attente d’un acte. Ce que nous voulons, nous nous attendons à le faire, et réciproquement, bien souvent du moins, et, à moins de conflit bien marqué entre les diverses ten-