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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/516

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blable à l’attente éprouvée par le croyant qui accomplit les rites sacrés et les pratiques magiques. C’est même, dans bien des cas, moins une attente qu’une représentation vive d’un acte. Mais il est aisé de remarquer qu’il n’y a guère de différence entre l’attente d’un acte et sa représentation vive, quand d’ailleurs la plupart des autres détails de cette représentation sont pris dans la réalité. De la représentation vive, d’ailleurs, on passe facilement à l’attente, qui ne différe d’elle, en réalité, que par quelques nouvelles associations subjectives avec les faits réels. En tout cas, plus l’imagination se rapproche de l’attente, plus aussi l’obligation est nette et formelle, et plus on est porté à l’imposer soit à soi-même, soit aux autres.

On comprend ainsi comment, l’homme naturel se confondant avec l’homme idéal, nous en venons à nous considérer comme faits pour agir selon l’idéal que nous nous sommes formé, comment il nous semble naturel d’agir ainsi, et comment nous sentons que nous devons suivre cette impulsion inhérente à toute représentation vive, l’expérience nous démontrant d’ailleurs que nous agissons souvent d’une manière bien différente ; nous avons à la fois ces deux notions d’obligation et d’indépendance à l’égard d’un idéal moral ; ces deux idées se juxtaposent au lieu de se combattre ou de s’exclure et composent la notion de l’être libre, quoique moralement obligé.

En résumé, nous voyons que certaines circonstances particulières, telles que l’expérience répétée, une expérience que quelques circonstances particulières, difficiles, souvent précises, rendent exceptionnellement frappantes, l’éducation, l’influence des lectures, des paroles entendues, du milieu en général, déterminent chez l’homme une tendance à croire à la réalisation de certains actes dans certaines conditions, ou à se représenter très vivement ces actes, ce qui revient à peu près au même dans le cas en question. Il se forme ainsi une idée toute déterministe, autant qu’une idée rudimentaire peut l’être, de la conduite future des êtres spirituels, naturels ou surnaturels. Cette obligation est d’abord conçue par l’homme comme s’appliquant aux autres. D’un autre côté, l’expérience montrant que cette obligation n’est pas toujours remplie, il en résulte un sentiment de désappointement et de surprise, et l’on voit naître l’idée de l’être qui se soustrait à une obligation, idée illogique et irraisonnée et qui n’offre à ce titre rien de surprenant. Cette idée est le germe de l’obligation morale dans sa forme la plus élevée, qui ne diffère en rien pour le fond de la précédente, et qui est fondée comme elle sur l’imagination et l’attente, en un mot sur la conception que l’on se fait de