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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/529

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fonsegrive. — les prétendues contradictions de descartes

On pourrait soutenir peut-être que, au moment où Descartes formulait le Cogito, il n’a pas prétendu conclure à l’existence d’an noumène, mais à celle d’un être pensant, qui ne vit que par sa pensée. Il dit lui-même : « Je suis, j’existe, cela est certain, mais combien de temps ? Autant de temps que je pense, car, peut-être même qu’il se pourrait faire, si je cessais totalement de penser, que je cesserais en même temps tout à fait d’être[1]. » Ce ne serait que plus tard, au moment où il se nomme « une substance dont toute la nature n’est que de penser », que Descartes aurait accompli le paralogisme. Un philosophe qui relève de la pensée de Kant a même soutenu récemment, que si Descartes avait été appelé à se prononcer entre l’existence du noumène et l’existence du phénomène, il aurait chassé les noumènes de la métaphysique, « car il n’établit entre la substance et son attribut essentiel qu’une distinction toute nominale[2]. »

Nous ne pouvons aller jusque-là, et Descartes a certainement cru à un noumène, comme tous ses contemporains. Il a même, croyons-nous, voulu affirmer son existence substantielle, aussi bien quand il a dit : Je suis, dans le Cogito, que lorsqu’il a ajouté plus tard : « Je suis une substance pensante. » Mais a-t-il fait un paralogisme ? Etait-il forcé de le faire, comme l’affirment Kant et ses continuateurs ?

Descartes a cru incontestablement qu’il apercevait analytiquement son existence dans le fait de sa pensée, qu’il avait conscience de son moi et que son moi était sa substance même. Si la substance est un absolu, Descartes a cru prendre conscience en lui-même de cet absolu, et Spinoza est son disciple fidèle quand il dit : « Nous sentons, nous éprouvons que nous sommes éternels. » Kant soutient que cette intuition prétendue n’est qu’une opération discursive et synthétique dominée à notre insu par le principe de substance. Si Kant a raison, Descartes, sans le savoir, a fait un paralogisme, il faut en convenir. Mais Kant a-t-il raison ? La critique s’impose-t-elle avec une si irrésistible évidence qu’elle ait enlevé le droit de vivre à toutes les métaphysiques qui s’appuient sur les faits de réflexion ? — On avouera que le débat n’est pas clos, que par conséquent, dans la position sceptique où nous entendons rester, nous devons conclure qu’on peut encore défendre Descartes. Ou la conscience en effet ne peut atteindre que des phénomènes, et alors Kant et les criticistes ont raison, on ne peut arriver aux substances que par le raisonnement, et Descartes aura fait un paralogisme ; ou la conscience atteint

  1. IIe Méditation, no 6, t.  I, p. 408.
  2. L. Dauriac, Le substantialisme cartésien et le phénoménisme criticiste (Annales de la Faculté des lettres de Bordeaux, octobre-décembre 1881, p. 473.)