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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/539

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fonsegrive. — les prétendues contradictions de descartes

rôle de Dieu dans la théorie cartésienne de la certitude, et c’est cela qui ôte prise à tout reproche de cercle vicieux. C’est avec infiniment d’art et une grande sciences des textes qu’ici comme partout M. Liard a soutenu son opinion. Il a même jeté un jour tout nouveau sur un point essentiel de la philosophie de Descartes en distinguant trois sortes d’existences : une existence immédiatement certaine, le moi, une existence nécessaire, Dieu, et des existences simplement possibles, les choses extérieures ; mais, absorbé peut-être par la nouveauté et la vérité des vues qu’il exprimait, il est allé trop loin, croyons-nous, quand, sur ces seules explications, il a exonéré Descartes de tout reproche de cercle vicieux.

D’abord, pour se défendre, Descartes lui-même ne s’est pas servi du moyen qui sert à M. Liard. Nulle part en effet, ni dans les Réponses aux objections, ni dans ses Lettres, il ne défend le critérium de la véracité divine par cette raison qu’il sert à garantir l’existence réelle des objets extérieurs. N’est-ce pas dès lors une présomption que le moyen ne lui semblait pas topique ?

Personne en effet ne lui a reproché d’avoir fait en cette occurrence un cercle vicieux. C’est dans la sixième méditation qu’il a prouvé l’existence des choses matérielles, grâce à la garantie divine ; mais il n’y a évidemment pas là de faute logique. « Il ne s’agit pas là de prouver l’évidence, » comme le dit M. Liard ; mais Descartes dit, à la fin de la cinquième méditation : « Ainsi je reconnais très clairement que la certitude et la vérité de toute science dépendent de la connaissance du vrai Dieu : en sorte qu’avant que je le connusse je ne pouvais savoir parfaitement aucune autre chose[1]. » Or, avant de connaître ce Dieu, Descartes ne pouvait savoir parfaitement que ce Dieu était ; il n’a donc pas su qu’il était, et c’est ainsi sur une science imparfaite qu’il établit une science parfaite. Voilà le paralogisme dont on a accusé Descartes et dont il s’est défendu[2]. Il s’agit bien là de prouver l’évidence. Les textes du Discours de la méthode sont plus clairs encore, s’il est possible. C’est l’évidence, toute l’évidence que Dieu garantit, aussi bien l’évidence qui fait que je crois à moi-même, à mon existence réelle, que celle qui fait que je crois à l’existence des autres choses et même de Dieu.

M. Liard accepte les explications ultérieure de Descartes et croit que Dieu ne garantit que les sciences physiques et mathématiques en

  1. No 9, t.  I, p. 155.
  2. Pour être juste, il faut bien reconnaître que M. Liard, se proposant d’exposer l’ensemble de la philosophie cartésienne, n’a pu expliquer entièrement les points particuliers que nous discutons, et qu’il n’y a touché qu’autant que cela était nécessaire pour marquer leur place dans le système.