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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/540

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garantissant la certitude de la mémoire. Il nous est impossible de partager cette idée. Est-ce que, pour démontrer Dieu, il ne faut pas à Descartes une suite d’articulations logiques, une série de propositions ? Est-ce que l’emploi de la mémoire n’est pas nécessaire à cette démonstration ? Le cercle vicieux est-il bien réellement évité ? En garantissant la mémoire, Dieu ne continue-t-il pas à se porter son propre garant ? Descartes même a-t-il bien tenu à éviter toute apparence de cercle vicieux ? N’est-il pas au contraire dans l’essence de son système de faire reposer sur l’infaillibilité divine l’édifice entier de nos connaissances ? M. Liard a trop bien signalé ce caractère de la métaphysique cartésienne pour nous contredire. Descartes se complait en effet, et aux endroits même où il vient de se défendre contre l’accusation de cercle vicieux, à soutenir que « la connaissance d’un athée n’est pas une vraie science, parce que toute connaissance qui peut être rendue douteuse ne doit pas être appelée du nom de science ;… et jamais l’athée ne sera hors du danger d’avoir le doute si premièrement il ne reconnaît un Dieu[1]. » Et en un autre endroit : « Les sceptiques n’auraient jamais douté s’ils avaient connu Dieu comme il fut[2]. »

  1. Rép. au IIe object., No 23, t.  II, p. 57.
  2. t.  II, p. 322. Il écrit à Régius : « Vous dites que la vérité des axiomes, qui se font recevoir clairement et distinctement à notre esprit, est claire et manifeste en elle-même. Je l’accorde aussi pour tout le temps qu’ils sont clairement et distinctement compris, parce que notre âme est de telle mature qu’elle ne peut refuser de se rendre à ce qu’elle comprend distinctement ; mais parce que nous nous souvenons souvent des conclusions que nous avons tirées de telles prémisses, sans faire attention aux prémisses mêmes, je dis alors que sans la connaissance de Dieu nous pourrions feindre qu’elles sont incertaines, bien que nous nous souvenions que nous les avons tirées des principes clairs et distincts, parce que telle est peut-être notre nature que nous sommes trompés dans les choses les plus évidentes, et par conséquent nous n’avions pas une véritable science, mais une simple persuasion lorsque nous les avons tirées de ces principes : ce que je fais pour mettre une distinction entre la persuasion et la science. La première se trouve en nous lorsqu’il reste encore quelque raison qui nous peut porter au doute, et la seconde lorsque la raison de croire est si forte qu’il ne s’en présente jamais de plus puissante et qui est telle enfin que ceux qui ignorent qu’il y a un Dieu ne sauraient en avoir de pareille. Mais quand on a une fois compris les raisons qui persuadent clairement l’existence de Dieu et qu’il n’est point trompeur, quand même on ne ferait plus attention à ces principes évidents, pourvu qu’on se ressouvienne de cette conclusion : Dieu n’est point trompeur, on a non seulement la persuasion, mais la véritable science de cette conclusion et de toutes les autres dont on se souviendra avoir eu autrefois des raisons fort claires. » (t.  III, p. 387.) Et dans sa réponse à Hyperaspistes : « J’ai dit que les sceptiques n’auraient jamais douté des vérités géométriques s’ils eussent connu Dieu comme il faut, pour ce que, ces vérités géométriques étant fort claires, ils n’auraient eu aucune occasion d’en douter s’ils eussent su que toutes les choses que l’en conçoit clairement sont vraies. Et c’est ce que nous apprend la connaissance que nous avons de Dieu, quand elle est entière et suffisante ; et cela même est le moyen qu’ils