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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/541

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fonsegrive. — les prétendues contradictions de descartes

Dans un autre texte, qu’on s’est plaint de voir trop peu remarqué : « Si notre croyance, dit Descartes, est si ferme que nous ne puissions jamais avoir aucune raison de douter de ce que nous croyons de la sorte, il n’y a rien à rechercher davantage, nous avons touchant cela toute la certitude qui se peut raisonnablement souhaiter. Car que nous importe si peut-être quelqu’un feint que cela même de la vérité duquel nous sommes si fortement persuadés paraît faux aux yeux de Dieu ou des anges, et que partant, absolument perlant, il est faux : qu’avons-nous à faire de nous mettre en peine de cette fausseté absolue, puisque nous ne la croyons point du tout et que nous n’en avons pas même le moindre soupçon[1] ? » Si l’on arrête ici la citation, il semble bien qu’on puisse avoir sans l’aide de Dieu une parfaite certitude, mais la fin du passage atténue singulièrement la portée du commencement. Voici cette fin : « Car nous supposons une croyance ou une persuasion si ferme qu’elle ne puisse être ébranlée, laquelle par conséquent est en tout la même chose qu’une très parfaite certitude. Mais on peut bien douter si l’on a quelque certitude de cette nature ou quelque persuasion qui soit ferme et immuable. »

Descartes semble reprendre de la main gauche ce qu’il a donné de la main droite, par un tour qui lui est familier. La fin du passage retire ce que le commencement avait accordé. On est donc amené à conclure que les textes de Descartes sont de deux sortes : les uns dans lesquels la véracité divine est donnée comme caution de l’évidence tout entière ; les autres dans lesquels elle ne garantit que la certitude de la mémoire. Mais la question, à ce qu’il semble, reste entière même en ne retenant que ces derniers textes. Il faut en effet se servir de la mémoire pour démontrer l’existence de Dieu ; Dieu donc garantirait la mémoire après avoir été prouvé par elle. Le cercle vicieux serait aussi apparent que dans le cas où Dieu servirait de caution à l’évidence tout entière.

En face de ces textes peu cohérents, de ces contradictions logiques, de ces explications embarrassées, ambiguës, équivoques, peut-être à dessein, de très bons esprits ont éprouvé un mouvement d’impatience

    n’avaient pas en main. » (t.  IV, p. 275.) — Il est vrai que tout de suite après il ajoute : « Et certes je n’ai jamais nié que les sceptiques mêmes, pendant qu’ils concevaient clairement une vérité, ne se laissassent aller à la croire… Mais j’ai seulement parlé des choses que nous nous ressouvonons avoir autrefois clairement conçues, et non pas de celles que présentement nous concevons clairement. » Descartes veut dire ici que les sceptiques ont cette persuasion, dont il a parlé dans sa lettre à Régius, mais ils n’ont pas et ne peuvent avoir la science, « parce qu’ils ne connaissent pas Dieu comme il faut. »

  1. Rép. aux IIe object., no 30, t.  II, p. 60.