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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/561

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ANALYSES.c. vallier. De l’intention morale.

d’exécuter une chose ou de nous en abstenir est exclusivement formelle ; à parler rigoureusement, il n’est rien, de précis, à quoi elle nous oblige ou de quoi elle nous éloigne impérieusement, — impérativement, dirait-on mieux, si l’adverbe était français : il faut faire ce que l’on doit. Telle est la formule exacte de la doctrine kantienne et qu’exprime sous une forme aussi claire que profondément exacte le proverbe français bien connu : fais ce que dois : advienne que pourra.

« Advienne que pourra ! » voilà ce que la conscience s’accoutume peut-être trop vite à se répéter à elle-même. L’intention de faire son devoir doit être certainement quelque chose, en morale. De dire qu’elle y est tout, ainsi paraît l’exiger la logique de la philosophie kantienne, et pourtant qui oserait s’y résoudre ? Souvenons-nous des Provinciales et du Tartufe.

M. Janet s’en est souvenu, dont le livre La Morale, l’un de ses meilleurs ouvrages, attendait depuis longtemps une discussion sérieuse. On sait la doctrine de M. Janet. Le bien moral suppose un bien naturel, ou plutôt il n’est que ce bien naturel, dont les caractères subissent, grâce à l’intelligence et au libre arbitre de l’homme, une réfraction inévitable. En passant d’un milieu soumis au déterminisme dans un milieu où règne le libre arbitre accompagné de la conscience réfléchie des motifs, le bien naturel devient moral ; au lieu d’être nécessitant, il devient obligatoire. L’homme fait exception à la règle commune : il est de règle dans la nature que tout animal tende de lui-même, et par l’attrait d’un irrésistible instinct, à ce qui lui est bon ou utile. Chez l’homme, il n’en va pas ainsi. Le bien naturel se présente accidentellement comme obligatoire. Dans ces conditions, et malgré les efforts de M. Janet, sa doctrine vient prendre place aux antipodes de la doctrine kantienne. À ses yeux, la loi morale se confond avec la loi naturelle, ou plutôt elle n’en saurait être qu’un cas particulier.

Cette doctrine, dont M. Vallier se déclare nettement l’adversaire, a reçu de lui le nom de réalisme moral, par opposition au « nominalisme » des utilitaires et au « conceptualisme » des kantiens. Ces deux expressions se comprennent du premier coup ; l’expression réalisme, plus obscure peut-être, n’en reste pas moins heureuse et d’une singulière portée. Oui, l’on est réaliste, quand on met le bien, non plus dans le plaisir, que chacun prend où il le trouve, mais dans un idéal nettement déterminé. Le bien naturel se réalisera, dès lors, par certains actes à l’exclusion de tous les autres. Ainsi le voulait Platon, ainsi le voulait Socrate, qui ne séparait point la science du bien de l’exécution de ce bien. Socrate faisait plus encore : le bien, aussitôt conçu, lui semblait, par cela même, nécessairement voulu. Donc, plus d’obligation, au sens moral du mot, et toute concession apparente faite par les réalistes à la doctrine de Kant doit céder devant les exigences de la logique. Plus de morale formelle, plus de libre arbitre ; ajoutons aussi, plus de vraie moralité. Tout le monde n’est pas à même de savoir où est le bien ; la morale devient affaire d’intelligence ou même