Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/569

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
559
ANALYSES.c. vallier. De l’intention morale.

M. Vallier a-t-il eu raison de chercher querelle aux réalistes ? Ses adversaires, s’ils étaient conséquents avec eux-mêmes, aboutiraient là où l’auteur de l’Intention morale entend les conduire. Il est très-exact de soutenir que si la conscience naît toute remplie, je veux dire riche d’enseignements, qu’il suffit d’écouter, pour recevoir et comprendre, si l’on perçoit le bien moral, par une sorte de vision en Dieu, comme le voulait Malebranche, c’est la matière de l’acte qui importe seule, et l’intervention d’une morale formelle devient surérogatoire. M. Vallier l’a dit souvent pourquoi ne l’a-t-il pas dit une fois pour toutes, et en insistant ? Une discussion contre le réalisme méritait de tenir une bonne moitié du livre : au vrai, elle tient cela si l’on additionne tous les « passages » où le réalisme est visé. L’auteur eût mieux fait de concentrer ses forces et de préférer une bataille décisive à une série d’escarmouches. Les réalistes sont harcelés, inquiétés, jamais en sécurité : on dirait d’une guerre de partisans. Sont-ils définitivement abattus ? Personne ne l’oserait affirmer. Et pourtant la victoire complète méritait d’être risquée.

Les réalistes se plaindront, sans doute, d’être mal compris. À leurs yeux la conscience n’est pas ce que M. Vallier suppose ; ils croient à l’innéité de la morale comme à celle des principes spéculatifs. La morale existerait en nous à l’état de simple virtualité. M. Janet n’a jamais dit autre chose, et ce n’est pas lui qui révoquerait en doute la nécessité d’une éducation de la conscience. Or, qui dit éducation est bien près de dire évolution, car compter avec l’habitude, c’est compter avec l’hérédité. M. Janet et M. Vallier sont d’accord sur ce point. Sur quoi donc porte leur dissentiment ?

Voici, je crois, par où les réalistes ont péché et pécheront toujours. L’auteur de la Morale soutient, non pas, qu’il existe dans l’entendement humain un ensemble d’idées au sens platonicien du mot, pratiquement réalisables, mais il prétend que l’idée de la Perfection se propose à notre activité morale. Soyons parfaits ; réalisons notre essence ; en un mot, soyons raisonnables. L’obéissance à la raison ne constitue pas ce qu’on pourrait appeler la « matière » de la loi, mais la loi elle-même, car c’est une loi pour l’homme de réaliser son essence. Dans cette soi-disant matière de la loi morale, il y a tout autre chose que des éléments matériels. Le principe de l’Excellence est, au sens étroit du mot, un principe formel. Soyons ce que nous sommes. Où donc sera la matière de la moralité ? Elle sera précisément dans les actes particuliers qui sembleront réaliser le mieux notre nature raisonnable. Dans la première partie du livre de M. Janet, où il est traité du Bien, la distinction est déjà faite entre la matière et la forme de la moralité. Cela étant, l’auteur de la Morale s’interdit tout emprunt à la morale de Kant ; pourquoi irait-il chercher dans la Critique de la raison pratique un élément formel qu’il possède déjà et qui lui est fournie par le principe même de l’excellence ? Aussi bien, les emprunts de M. Janet à Kant sont-ils plus apparents que réels puisque