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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/570

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M. Janet considère l’obligation non comme un caractère essentiel et intrinsèque, mais comme un caractère accidentel et extrinsèque de la loi morale. Les partisans de la morale réaliste se sont installés, au mépris de la logique, dans la maison de Kant ; il fallait leur en fermer la porte et les en chasser pour toujours. M. Vallier a résolument engagé la lutte ; il devait résolument accepter la victoire. Il le devait à ses convictions et à son talent.

Ces convictions, que M. Vallier laisse seulement entrevoir, méritaient, si je ne me trompe, d’être exprimées sous une forme moins indécise et avec moins de sous-entendus. Il se plaît dans les demi-jours, et son goût pour les mystères, qu’il ne craint pas de confesser publiquement, se révèle à chaque page du livre. Que de fois il se dérobe au moment où l’on aimerait à le retenir, ne serait-ce que pour savoir exactement quel est sur ces graves problèmes le fond de sa pensée ! Si l’on ne craignait, étant philosophe, de manquer de respect envers la philosophie d’un collègue, on demanderait à M. Vallier pourquoi le ton sur lequel il dit les choses contraste si étrangement avec les choses qu’il dit. — Mais il parle religieusement du devoir. — Oui, sans doute, trop religieusement et pas assez respectueusement. C’est le ton d’un mystique ; un philosophe s’exprimerait autrement. La préoccupation d’écrire est constante chez l’auteur de l’Intention morale ; il possède l’art des nuances et préfère, si je ne me trompe, le coloris au dessin. — À force de charmer ne réussit-on pas à convaincre ? — Pas toujours ; il y a plus : on réussit quelquefois à n’être pas compris. Peut-on savoir, au juste, si M. Vallier est du côté de Kant ou du côté de M. Renan, s’il prend le devoir au sérieux et en sage ou s’il le prend à la manière d’une distraction, la moins décevante de toutes, je veux dire, en dilettante ? Jeter le devoir en pâture aux désabusés, le leur offrir comme remède, le leur proposer à titre de dernière cartouche, c’est bien là ce que fait notre moraliste, malgré ses sympathies pour la morale de Kant. Il soutient que nos expérances de bonheur sont à rejeter et non pas seulement à ajourner, comme le voulait l’auteur de la Raison pratique. Il parle sur le ton d’un pessimiste, et c’est au nom du pessimisme qu’il prêche le devoir. Les pessimistes seront avec lui ; mais les autres, mais cette foule qui croit encore à la possibilité d’être heureux et qui tient les joies de la vie pour réelles, M. Vallier ne devra-t-il pas renoncer à la convaincre ? ne sera-t-il pas contraint d’attendre pour commencer son œuvre de prosélyte que le jour de la désillusion soit venu ? Et si, parmi ces bienheureuses victimes de l’inexpérience des choses humaines, il s’en trouve d’enlevées soudainement à la vie, sans avoir une minute pour se reconnaître et pour expier le péché d’optimisme, M. Vallier ne devra-t-il point les absoudre ? Ils ont vécu hors la loi du devoir ; au nom de quel principe M. Vallier oserait-il leur refuser l’absolution ? Kant resterait inexorable, et il en aurait le droit. Mais laissons les procès de tendances ; oublions ce que M. Vallier