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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/597

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FOUILLÉE. — le libre arbitre

I. D’abord il n’est besoin que de la conscience et de la mémoire pour acquérir cette notion fondamentale : diversité, alternative des contraires, pour ou contre, oui ou non, mouvement ou repos : or c’est là le premier élément scientifique de l’idée de contingence ou de liberté. L’animal inférieur, qui ne voit devant lui qu’une seule ligne et qui a pour ainsi dire des œillères de tous côtés, sauf sur une seule direction, ne peut acquérir l’idée de liberté, qui enveloppe celle de pluralité ou de diversité. Il n’en est plus ainsi chez l’être intelligent et doué d’expérience : l’association des idées est alors si forte qu’un contraire évoque immédiatement l’idée de son contraire, comme un objet éclairé qui serait inséparable de son ombre. Notre pensée procède par différences autant que par ressemblances, par oppositions autant que par harmonies ; c’est son rythme naturel et comme son oscillation propre : elle est soumise à la loi universelle de l’ondulation.

Maintenant, sous quelle forme nous apparaît le contraire de ce qui est actuel et actuellement présent à la conscience ? — Sous la forme du possible, quand il a été lui-même actuel à d’autres moments. Si je suis actuellement immobile, la marche peut m’apparaitre comme possible ; le silence actuel me fait songer à la possibilité de la parole ; la parole actuelle à la possibilité du silence. Possibilité, c’est le second élément scientifique des idées de contingence et de liberté.

Cette possibilité ne reste pas à l’état abstrait et purement logique : elle prend la forme de puissance active et psychologique ; voici comment. Toute idée, surtout l’idée d’une action possible, est une image, une représentation intérieure de l’acte ; or nous savons que la représentation d’un acte, c’est-à-dire d’un ensemble de mouvements, en est le premier moment, le début, et qu’elle est ainsi elle-même l’action commencée, le mouvement à la fois naissant et réprimé. L’idée d’une action possible est donc une tendance réelle ; c’est une puissance déjà agissante et non une possibilité purement abstraite. Si cette idée, par hypothèse, était seule, l’action commencée et répandue par innervation dans l’organisme finirait par mouvoir les membres, tant qu’elle ne produirait aucune douleur. L’idée se réaliserait en se concevant. L’idée des contraires tend donc à se réaliser et à prendre la forme d’un équilibre plus ou moins instable, comme celui d’une balance. Quand je pense à marcher, il y a dans mon cerveau même quelque chose qui répond à la représentation de mes jambes et à la représentation de leur mouvement, laquelle est elle-même le commencement de ce mouvement. Penser à la marche, c’est marcher dans son imagination, et c’est même, à la lettre, marcher par le cerveau, non par les jambes ; c’est commencer à agir et, pour ainsi dire, à