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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/599

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FOUILLÉE. — le libre arbitre

la marche prédomine, si je veux marcher. En un mot, la seule conscience de puissance qui se trouve en nous est celle du mouvement commencé et interrompu, laquelle se ramène à l’image plus ou moins concrète d’un mouvement. Tout mouvement accompli par nous et centrifuge est accompagné d’un certain état de conscience qui nous le fait distinguer des mouvements centripètes, des mouvements reçus ; c’est cet état de conscience qui fait le fond de ce qu’on nomme effort, tendance, tension, et la puissance n’est que la prévision de la suite habituelle des effets du mouvement commencé : cette prévision est l’idée et c’est dans l’idée, que réside la puissance.

Par cette voie, nous ne trouvons nullement la liberté absolue dont parlent les spiritualistes, pas même la puissance métaphysique dont ils font un intermédiaire entre le pur possible et le pur réel, et qui contiendrait d’avance plusieurs effets possibles ou contingents. Psychologiquement, cette puissance nous est apparue comme la conscience d’un conflit de représentations auxquelles répond dans le cerveau un conflit de mouvements en sens divers. Sans doute le fond même du mouvement, de l’effort, du vouloir, demeure un mystère, mais on n’a pas le droit de prétendre, dès le début, que ce mystère soit liberté plutôt que nécessité, ni de confondre la conscience du vouloir et du mouvoir avec la conscience d’une liberté indépendante, ambiguë, capable en même temps et sous les mêmes conditions d’effets contraires. Si l’arc tendu de Leibnitz avait conscience de sa tension, il n’aurait pas pour cela conscience de sa liberté, car il faut, pour que la flèche parte, la détente du doigt de l’archer. La « puissance des contraires » est le côté interne de la composition des forces en mutuel équilibre.

Ce sentiment d’une puissance active, en équilibre instable entre deux contraires, est le troisième élément de l’idée de liberté, dont la diversité et la possibilité abstraite étaient les deux premiers éléments. L’enfant aime à se donner à lui-même le sentiment du pouvoir des opposés, qui est une des formes supérieures et un des plaisirs de la vie. Il aime à se balancer par la pensée comme par le corps entre des contraires : il y a une analogie fondamentale entre le plaisir élevé de l’activité oscillante et le plaisir inférieur qu’un enfant éprouve sur une escarpolette, se balançant dans le vide, allant et revenant comme le pendule d’un extrême à l’autre ; c’est une sorte d’ivresse de mouvement alternatif par laquelle, à force de parcourir avec vitesse des points successifs, il nous semble que nous sommes sur tous les points à la fois : les extrêmes se rapprochent et les contraires tendent à se confondre en un.

Il en résulte un nouveau sentiment, quatrième élément psycholo-