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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/600

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gique de l’idée de liberté : c’est le sentiment de l’indépendance par rapport aux contraires mêmes, d’un pouvoir qui, embrassant les contraires, les domine et semble n’en plus dépendre. Quand le pendule intérieur, si l’on peut ainsi parler, est parvenu à l’extrémité de sa course et a ainsi épuisé son effet dans un sens déterminé, il tend par cela même à reprendre la direction contraire et à se donner dans ce sens nouveau un nouveau sentiment d’activité, de vie, de jouissance. Ne pas être borné à une seule action, ne pas être épuisé dans un seul acte, retrouver sa puissance entière pour un autre, c’est évidemment avoir, pour sa force intérieure, un point d’appui et d’application supérieur aux effets divers qu’elle produit tour à tour ; c’est par cela même avoir une certaine indépendance qui est libre d’obstacles ; voilà pourquoi l’idée d’indépendance est un capital élément de l’idée de liberté.

La notion de pouvoir ambigu et supérieur aux alternatives se fortifie encore par le rapport de l’état présent avec l’avenir. L’avenir, en effet, est pour nous incertain, incalculable, impossible à prévoir. Cette incertitude est plus ou moins grande selon les cas. Elle est, dans plusieurs circonstances, d’autant plus grande que l’action est moins importante et, par cela même, plus dénuée de motifs conscients capables de la spécifier. Par exemple, dans les occasions où il s’agit de choses indifférentes, on ne peut prévoir si je Choisirai pile ou face, si je partirai du pied gauche ou du pied droit, si je serai debout ou assis. Dans ces cas, en effet, ce qui doit déterminer telle action plutôt que telle autre, ce qui doit spécifier ma décision volontaire, c’est une coïncidence de causes extérieures, un hasard, conséquemment un déterminisme mécanique que je ne puis prévoir et auquel j’abandonne le soin de spécifier. Dans d’autres cas, par une loi contraire, l’incertitude de l’avenir est proportionnelle à l’importance de la décision : c’est qu’alors les motifs conscients et spécifiques sont plus compliqués et plus opposés entre eux : les causes déterminantes de l’action sont intérieures ; elles engagent mon caractère, mon moi, ma personnalité tout entière. Or, "dans certaines alternatives d’une nature exceptionnelle et, en quelque sorte, tragique, il m’est bien difficile de prévoir si j’aurai la force de préférer, par exemple, la mort même à la violation de ce qui m’apparaît comme un devoir. Certains cas de conscience sont comme une tempête qui peut faire soulever la vague de mille manières. Ici, l’incertitude de l’avenir porte sur les conditions intérieures d’un acte important, conditions qui dépendent du degré de puissance ou de résistance qui appartient à mon caractère ; tout à l’heure, l’incertitude portait sur les antécédents extérieurs d’un acte sans impor-