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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/602

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ne pouvez prévoir quelle sera la nuance particulière que produira le mélange. Vous savez qu’en général telle couleur mêlée à telle autre en telles proportions produit du vert, du violet, de l’orangé ; mais, si Vous ne pouvez savoir tout ce qui entre dans la composition du liquide particulier où vous mélangerez ces couleurs, vous ne pourrez par cela même prédire la couleur complexe qui en résultera. Notre naturel n’est pas une eau claire où les motifs et mobiles se mêleraient en gardant chacun sa nuance propre : il est lui-même une combinaison que la « chimie mentale » ne saurait réduire à des formules exactement déterminées. On ne répond donc pas à Spinoza ni à Leibnitz quand on invoque la conscience des motifs dans la délibération pour soutenir que le sentiment du libre arbitre croît avec la connaissance des causes[1], car la connaissance des motifs ne nous donne pas celle de la cause fondamentale et décisive : la réaction propre de notre caractère. Sous les motifs conscients se trouve notre activité subconsciente avec ses tendances et inclinations de toute sorte ; c’est même dans cette région d’ « inconscience », ou plutôt de conscience générale et non spéciale, que nous plaçons notre moi, notre vouloir personnel. Dès lors, quand nous avons comparé et pesé des motifs au grand jour de la conscience claire, de la conscience superficielle, la détermination finale sort des profondeurs de la conscience obscure. Il en résulte un arrêt dans la série apparente des causes, une apparente solution de continuité, comme entre les derniers rayons visibles du spectre et l’obscurité qui les enveloppe. De là vient l’apparence d’un commencement impossible à prévoir et contingent, d’un commencement de série non rattaché à d’autres séries, d’un « commencement absolu ». Le conflit des motifs conscients produisait un arrêt momentané dans notre évolution intérieure et y posait un problème de dynamique mentale ; c’est le triomphe de l’inconscient ou du subconscient qui résout alors le problème, met fin à l’arrêt et se manifeste par la résultante de la décision. Ne pouvant avoir la conscience analytique de ce qu’on pourrait appeler notre conscience synthétique, nous ne saurions toujours nous-mêmes calculer et prévoir ce que nous voudrons dans telle circonstance grave : nous attribuons alors li volition à un pouvoir dominant les contraires, et comme ce pouvoir est précisément notre conscience obscure et synthétique, notre moi, il en résulte que nous attribuons au moi, — non plus à un dieu ou à une force étrangère, — la réaction finale de ce pouvoir fondamental

  1. Voir M. Janet, Morale, M. Delbœuf M. William James.