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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/603

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FOUILLÉE. — le libre arbitre

et intime sur les motifs plus ou moins extérieurs par lesquels il est sollicité[1].

L’idée de liberté et de contingence, on le voit, se produit tout naturellement, sans exiger aucun effort de notre part, car elle provient de ce que nous ne faisons pas une analyse complète ni un complet calcul : l’idée de notre puissance volontaire, par un phénomène singulier, est provoquée par notre impuissance intellectuelle et par notre repos intellectuel. Les divers possibles nous paraissent alors coïncider dans la perspective intérieure, et par cela même aussi ils tendent à coïncider. Dans une immense allée d’arbres, les arbres lointains semblent se toucher, parce que nous demeurons en repos sans aller vérifier jusqu’au bout ; que serait-ce s’il n’y avait point de bout ?

Quand au contraire nous pouvons analyser entièrement toutes les causes d’une décision, nous ne nous attribuons plus le pouvoir des contraires ; nous disons que, tout compté, nous ne pouvions faire

  1. Ces observations nous permettent de répondre à ceux qui objectent : « Autre chose est la force intrinsèque du motif, autre chose est sa force déterminante ; par exemple, si je compare un motif à un autre, je puis le trouver plus ou moins raisonnable, et par conséquent plus ou moins fort en lui-même… Mais cette force intrinsèque est-elle la force déterminante ? Il reste toujours à savoir si le plus fort en soi est aussi la plus fort dans la réalité. » (M. Janet, ibid.). — Cette objection suppose que les déterministes entendent par la force des motifs je ne sais quelle force intrinsèque, absolue, telle que serait par exemple une vérité objective ; nullement, la force déterminante des motifs n’est pas « leur force en soi », c’est leur force sur nous, leur force relative, laquelle résulte, selon les lois de la composition des forces, de leur rapport avec l’ensemble de nos tendances actuelles, avec notre caractère, etc. Toute force déterminante est relative aux forces déterminées.

    « Dans la résolution qui suit la considération des motifs ; dit également M. Boutroux, il y a quelque chose de plus que dans les motifs : le consentement de la volonté à tel motif de préférence à tel autre : le motif n’est donc pas la cause complète de l’acte » (p. 140). Sans doute, le coup donné à une pierre que je pousse n’est pas non plus la cause complète du mouvement’; il y faut joindre les forces inhérentes antérieurement à la pierre. De même, le consentement de la volonté est une résultante non pas seulement des motifs conscients, mais du caractère et des motifs ou mobiles subconscients ; la délibération ne fait apparaître à la surface qu’une partie des forces en lutte. « N’arrive-t-il pas, continue M. Boutroux, que la volonté rende pratiquement prépondérant un motif qui, théoriquement, n’était pas la résultante des forces qui sollicitaient l’âme » (id., p. 140) ? — Dans ce cas, le calcul théorique était incomplet : il portait seulement sur la valeur intrinsèque des forces sollicitant l’esprit et ne tenait pas compte de la réaction des forces inhérentes au caractère : c’est la résultante de ces deux facteurs qui seule est pratique, et en même temps seule exacte théoriquement. Il y a équation parfaite entre la théorie et la pratique. Quand on calcule toutes les forces, même dans les cas où, selon MM. William James et Delbœuf, la volonté semble suivre « la ligne de la plus grande résistance », par exemple de ia plus grande douleur ; la bombe de canon qui s’enfonce’dans une muraille au lieu de se détourner suit aussi une ligne résistante, mais c’est que la puissance qui est emmagasinée dans la bombe lui impose cette ligne.