Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/604

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
594
revue philosophique

autrement, que nous avions telle inclination, telle pensée, telle autre, que celle-ci a été effacée par celle-là, que tel penchant ou telle habitude avait trop de force acquise pour être contrebalancée par tel motif, etc. L’idée du pouvoir des contraires naît donc bien de la conscience synthétique et obscure, et seulement dans les cas qui engagent cette conscience, non dans ceux où il s’agit d’effets que nous n’attribuons pas à notre moi, à notre conscience concrète et totale. Spinoza et surtout ses adversaires n’ont pas posé la question sur son vrai terrain.

Nous voyons maintenant qu’une action déterminée doit nous paraître enveloppée (comme d’autant de cercles concentriques) par des puissances contenant en apparence les contraires. Le premier cercle est formé par l’intelligence : nous expérimentons l’action motrice et efficace des idées, ainsi que la possibilité de trouver des motifs opposés pour ou contre tout acte, ce qui nous donne la notion de notre indépendance intellectuelle. Puis, nous avons le sentiment d’un pouvoir encore supérieur aux idées, les mobiles, qui forment un second cercle déjà plus obscur, celui de la sensibilité ; enfin nous avons la conscience vague d’un pouvoir supérieur aux mobiles particuliers comme aux motifs particuliers : l’individualité, le caractère personnel ; le dernier cercle, le plus vaste et le plus obscur tout ensemble, c’est la conscience même en sa synthèse, la conscience où viennent se fondre toutes les images, l’unité (apparente ou réelle) qui domine tout et décidera en dernier ressort. Là se place la volonté, et de là aussi nous vient l’idée de liberté, comme puissance supérieure aux déterminations contraires, aux mobiles connus et aux motifs connus.

Alors s’accomplit une dernière transformation de cette idée, qui prend une forme métaphysique. Grâce à notre faculté d’abstraire, nous pouvons considérer une puissance non en tant qu’elle dépend elle-même d’autre chose, mais en tant que quelque chose dépend d’elle ; et sous ce rapport abstrait, relativement aux termes inférieurs, elle n’est plus dépendante, mais indépendante ; elle n’est plus conséquente, mais antécédente. Soit un motif déterminé : il est clair que je puis ne pas le suivre, si j’en suis un autre ; mais cet autre à son tour, je puis ne pas le suivre. J’acquiers donc l’idée de mon indépendance générale par rapport à chaque motif particulier, et je finis même par me persuader que, si je vide la volonté de tout motif, il restera encore une puissance indépendante, une volonté pure et absolue, analogue à la pensée pure d’Aristote. C’est en faisant ainsi abstraction des limites que nous arrivons à concevoir l’illimité, l’absolu. Nous concevons d’abord l’idée négative d’une indé-