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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/605

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FOUILLÉE. — le libre arbitre

pendance absolue, puis l’idée plus positive, mais non moins problématique, d’une plénitude de puissance ; cette idée n’est antre que celle de la causalité intelligible (au sens de Kant), conçue λόγῳ νοθῷ comme pouvant contenir la raison suprême de la causalité sensible. Affranchie par pure hypothèse de la loi des antécédents et des conséquents qui constitue le déterminisme, cette causalité tout idéale nous apparaît comme l’idéale liberté.

II. Après avoir indiqué comment l’idée de liberté et de contingence, d’abord physique, puis psychologique, puis métaphysique, naît dans l’individu, nous pourrions examiner comment elle se transmet dans l’espèce par voie d’hérédité. Ici intervient le maître des maîtres, le temps, qui agit en accumulant, en thésaurisant, sous la forme de l’hérédité et de la sélection naturelle. L’être qui, grâce à quelque circonstance heureuse, se trouve avoir un avantage matériel ou intellectuel sur les autres tend à transmettre sa supériorité de génération en génération ; or, l’idée de liberté est une supériorité intellectuelle et morale, l’être qui s’abandonne passivement et auquel fait défaut ce que les physiologistes appellent la réaction personnelle, ce que les psychologues appellent la volonté, cet être manque de résistance et tend à s’effacer, lui et sa génération, dans la lutte pour la vie.

Au contraire, un organisme assez perfectionné pour arriver à se diriger lui-même par la seule idée de sa direction possible, un organisme qui parvient à réagir par la seule pensée d’une réaction possible et bonne, un tel organisme est supérieur aux autres comme l’intelligence est supérieure à l’instinct de la brute. Il ressemble à un banquier qui trouverait moyen d’augmenter son trésor par des idées intérieures et par un désir intérieur, portant ainsi en lui-même une mine pratiquement inépuisable. L’être qui arrive à dire moi et à poser son moi sous forme de réaction et d’action en face des choses, marque donc un progrès dans l’évolution de la nature. Ce progrès, il le transmet par hérédité, et la sélection assure le triomphe aux volontés les plus énergiques, soit chez les individus, soit chez les peuples. C’est pour cette raison que les nations trop fatalistes finissent par s’immobiliser et par disparaître ; les nations individualistes, au contraire, qui sont aussi les nations libérales et qui favorisent le développement de la volonté personnelle, ont de plus en plus devant elles l’avenir, à la condition, bien entendu, que leur individualisme n’exclue pas l’esprit de communauté et de libre association, c’est-à-dire l’idée et l’instinct de l’universel.

De ces lois darwiniennes résulte une transmission héréditaire et un progrès de l’idée de liberté : nous naissons aujourd’hui avec l’idée