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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/617

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FOUILLÉE. — le libre arbitre

IV

conclusion : la réaction de l’idée sur l’avenir prévu.

Loin d’exclure la réaction de l’idée sur le fait, un déterminisme bien entendu la présuppose. Et il-faut concevoir cette réaction comme capable d’une énergie et d’une flexibilité dont les bornes nous sont inconnues. Le possible et le probable ont beau n’être au fond que des idées, auxquelles répondent primitivement dans les objets des rapports réels et certains, ces idées réagissent secondairement sur la nécessité aveugle. L’idéale indétermination de l’avenir ne peut précisément pénétrer dans le déterminisme même que sous cette forme d’idée, et d’idée directrice.

Si nous pouvions tenir compte de tout ce qui agit dans l’âme d’un homme, dit Kant, nous pourrions calculer sa conduite future ; on a essayé de retourner ici contre Kant le principe même dont il est parti, à savoir que les phénomènes, ou cela seul qui est objet de représentation, tombent sous le déterminisme. Qu’est-ce qui est objet de représentation ? Des faits ; or, selon certains néo-kantiens ou criticistes, les faits ne peuvent être que ce qui est accompli déjà. « Le passé est donc seul soumis aux lois nécessaires. Il serait contradictoire de nous dire que l’avenir peut nous être représenté et plus évidemment encore de dire qu’il peut nous être présenté… Cet avenir prétendu n’est qu’un passé décoré du nom de futur. L’avenir ne peut donc être déterminé[1]. » — « Dans ce passé, a-t-on dit encore, qui a été et qui est, avec le présent, la seule réalité achevée ou s’achevant, il y a une nécessité. ; mais le futur est encore dans le néant ; on ne peut pas dire qu’il soit nécessité, car il n’est pas[2]. » Nous ne saurions admettre ce raisonnement. Le déterminisme ne porte pas seulement sur les phénomènes et sur les faits accomplis,

    seule et même idée ?… Ainsi la variabilité se retrouve jusque dans les profondeurs les plus reculées de la nature humaine. » (M. Boutroux, id. 138, 142.) Assurément ; mais la question est de savoir si la variabilité se produit librement et sans loi, ou si elle se produit selon des lois déterminées. Qui dit déterminisme ne dit pas pour cela immobilité, puisque au contraire le déterminisme est par définition même la loi du changement, la loi des antécédents et des conséquents.

  1. Ce sont les expressions de M. Burdeau, dans un remarquable compte-rendu consacré à M. Renouvier.
  2. M. Penjon, leçon d’ouverture publiée par la Critique philosophique du 10 mars 1883.