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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/618

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mais sur leurs lois de succession. Or, si le phénomène est passé, la loi peut et doit être toujours présente. Ce n’est donc pas seulement « le passé qui est soumis aux lois nécessaires » ; par cela même que nous concevons des lois et encore mieux des lois nécessaires, ces lois sont indépendantes du temps et des termes mêmes qu’elles relient. Donc encore, si nous nous représentonsprésentons avenir, ce n’est pas seulement en nous représentant des phénomènes passés, mais en concevant des rapports présents et futurs ; il n’y a là rien de contradictoire. L’avenir n’est pas un simple passé décoré du nom de futur : c’est le passé, plus une loi qui est toujours actuelle. Donc enfin « l’avenir peut être déterminé ». — D’ailleurs l’argument qu’on vient de lire prouverait trop et s’appliquerait même aux lois physiques et astronomiques ; on ne pourrait plus prédire une éclipse, pour cette raison qu’elle est un passé décoré du nom de futur ou qu’une éclipse à venir ne peut être nécessitée, puisqu’elle n’est pas. La vraie question, en un mot, n’est point de savoir si les phénomènes futurs peuvent être présents, mais si leur loi et leurs conditions peuvent être présentement données et relier les divers moments de la durée.

Loin de croire ainsi qu’il soit impossible et même, comme on l’a dit, contradictoire de se représenter l’avenir dans la pensée, nous croyons que c’est seulement en nous représentant notre avenir qu’il nous est possible, à nous, de le faire exister par nous. Il y a, nous l’avons vu, un curieux problème qui rentre dans la question générale de l’influence des idées : c’est de savoir si l’individu ne pourrait pas faire lui-même, et non pour un autre, mais pour soi, le calcul de la conduite à venir. Il ne s’agit plus ici d’un monde qui m’est pour ainsi dire extérieur et étranger, et qui va son chemin sans se douter que je détermine en ce moment à priori la trajectoire qu’il va suivre ; il s’agit de cet individu qui est en moi, qui est moi-même, et dont je veux prédire toutes les démarches à venir[1].

Il semble que, si la prévision est possible quelque part, c’est surtout quand il s’agit de moi-même, à la condition que je devinsse tout entier transparent pour ma conscience ; je me suppose donc capable de faire ce calcul avec toute la compétence requise, comme l’intelligence universelle dont parlent Laplace et du Bois-Reymond « Une pareille vue de l’avenir, a dit un partisan du fatalisme, serait le plus cruel des supplices[2] ; » nous nous sentirions « aussi impuis-

  1. Sous cette forme, le problème nous a été posé jadis à nous-même, comme application immédiate de notre théorie sur la Liberté et le déterminisme, par M. Émile Boirac.
  2. Le docteur Le Bon, l’Homme et les Sociétés, I, 455.