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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/63

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TARDE. — la statistique criminelle

point, je pense, de dire à un magistrat instructeur quelconque que cette décroissance est due à un progrès considérable dans la véracité des témoins ; mais on prend de moins en moins la peine inutile de poursuivre les faux témoins. De moins en moins aussi pour la même cause, on poursuit les incendiaires, qu’il est si difficile de découvrir, et si, malgré cela, le chiffre des accusations pour incendie volontaire a sensiblement augmenté, c’est que celui des crimes de ce genre a dû croître énormément.

En tenant compte de toutes ces considérations, c’est-à-dire de la correctionnalisation progressive, des égards croissants du parquet pour la mollesse du jury, et de la distinction nécessaire entre les vrais crimes et les crimes nominaux ou secondaires, on peut tenir pour certain que depuis un demi-siècle le nombre des crimes, comme celui des délits, mais seulement dans une mesure moindre, a subi une grande augmentation. Cette difficulté écartée (car c’en était une sérieuse de comprendre l’anomalie présentée par un peuple où la grande et la petite criminalité auraient varié en sens inverse et fait en quelque sorte bascule), considérons les délits spécialement parce qu’ils roulent sur des chiffres plus forts, moins sensibles aux perturbations de causes accidentelles et insignifiantes. Je préviens certaines objections à fleur de sujet. D’abord, la population a augmenté, mais d’un dixième à peu près (31 millions en 1826, 37 en 1880) tandis que le chiffre des délits communs a triplé. Cette considération n’a donc pas lieu de nous retenir. En revanche, pourrait-on ajouter, il est possible à la rigueur que, le même nombre de faits délictueux ayant été annuellement commis par hypothèse, la portion poursuivie de ces faits ait été s’accroissant d’année en année sous l’empire de diverses causes ; soit, assertion bien gratuite, parce que les parquets, en multipliant les poursuites correctionnelles, se seraient de mieux en mieux adaptés à la sévérité et à la moindre exigence en fait de preuves de la magistrature assise, de même qu’ils se sont graduellement adaptés à l’indulgence du jury en diminuant le nombre des accusations ; soit encore parce que la densité croissante de la population (car la population se condense même sans s’augmenter, par suite des progrès de la vie urbaine) aurait facilité la découverte de certains délits, tels que les vols, les suppressions d’enfants, etc. ; soit enfin parce que certains préjugés ou certaines répugnances qui empêchent les victimes de certains délits de les dénoncer, par exemple les maris trompés, les battus dans les rixes, les maîtres volés par leurs domestiques, les dupes d’escrocs adroits, les personnes outragées dans leur pudeur, auraient été s’affaiblissant dans le courant de notre siècle. Je ne nie point l’action de ces causes ; mais, si elles ont agi, elles ont dû être neutralisées par autant