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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/632

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thèse de Teichmüller, nous verrons qu’il est hors de conteste que le fils d’Eurystrate croyait à la réalité de la révolution diurne. Qu’il la crût dès lors éternelle, c’est de toute probabilité ; c’était la doctrine d’Anaximandre, et s’il l’avait rejetée, il lui eût fallu expliquer l’origine de cette révolution. Enfin, quoi qu’en dise Zeller, le texte d’Aristote (de cœlo, II, 13, 295, a-9) n’est certes pas insignifiant.

Le Stagirite dit que tous ceux qui engendrent le ciel font porter au milieu la terre par l’effet de la révolution (διὰ τὴν δίνη σιν). Il n’en résulte certainement pas que la révolution préexistât pour ces physiologues à la formation de la terre. Mais pour la question qui nous occupe, cette préexistence ne constitue nullement le nœud à résoudre.

Si Anaximène admettait et la révolution comme actuelle, et l’infinitude de la matière, que faisait-il de l’air au delà de la sphère céleste ? Une substance inerte ; c’est en contradiction formelle avec les textes ; s’il lui attribuait le mouvement, ce mouvement ne pouvait être que sans influence sur notre monde. Il n’eût pu servir qu’à en constituer une infinité d’autres semblables, comme dans la doctrine des atomistes, dont Anaximène ne fut certainement pas, cependant, le précurseur à cet égard.

Que d’ailleurs dans le passage cité d’Aristote, les deux premiers physiologues milésiens au moins soient particulièrement visés, et qu’ainsi la prépondérance attribuée par eux au phénomène de la révolution diurne soit bien constatée, cela ne peut être sérieusement mis en doute. Zeller soutient bien que le mot tous ne peut être tellement pris à la lettre qu’on l’applique individuellement à tous les philosophes qui ont admis une naissance du monde. Mais il devrait alors spécifier de qui, suivant lui, veut parler Aristote. Il est clair d’ailleurs que celui-ci désigne seulement les physiciens qui ont cherché à expliquer mécaniquement l’origine du ciel, et que par là les Pythagoriciens, Héraclite et Platon se trouvent naturellement exclus. Il est donc inutile de les citer pour essayer d’exclure aussi Anaximène.

Ce point important éclairci, autant du moins que nous avons pu le faire, il reste à examiner si nous n’avons point quelque motif spécial d’attribuer au fils d’Eurystrate la doctrine de l’infinitude de la matière, malgré les difficultés qu’elle eût présentées pour lui et que nous venons de faire ressortir.

J’ai cru moi-même, dans mon essai sur Anaximandre de Milet[1], reconnaître un pareil motif dans l’abandon de l’explication donnée par le premier physiologue de l’immobilité de la terre, — l’égalité

  1. Revue philosophique, mai 1882, p. 514.