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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/634

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On ne peut être que confirmé dans cette manière de voir, si l’on étudie le texte où l’extrait des doctrines d’Anaximène fait par Théophraste a été conservé avec le plus de développements. C’est celui des Philosophumena d’Hippolyte[1].

Après avoir dit que, suivant Anaximène, l’air ἄπειρος est le principe de tout ce qui est, le compilateur continue : « le caractère (τὸ εἶδος) de l’air est celui-ci : lorsqu’il est au plus parfait degré d’égalité (entre la dilatation et la condensation, ὁμαλώτατος), il est invisible aux yeux, mais se manifeste comme froid, chaud, ou en mouvement. » Suit la description de la genèse des diverses formes de la matière, comme conséquence du mouvement.

La suite d’idées d’Anaximène se dévoile entre les lignes : l’air, « en lui-même », comme on eût dit plus tard, n’aurait pas pour nous plus de détermination que l’espace (ἄπειρος) ; il reçoit des déterminations en tant que froid, chaud, humide, en mouvement, et en allant plus loin, en tant que transformé en feu, vents, nuages, eau, terre, pierres. L’air est donc ἄπειρος en tant qu’il remplit l’espace continu, sans limitations intérieures. Mais il ne s’en suit ni que l’espace, ni que l’air soient illimités.

Après avoir écarté trois arguments, nous restons en présence de la difficulté qui est peut-être la plus sérieuse, car elle est liée aux conséquences nécessaires du développement du concept de l’infini.

Si, conformément à l’opinion aujourd’hui la plus accréditée, Anaximène florissait vers l’époque même où écrivait Anaximandre, cette difficulté n’existe pas, et l’identité de leur concept de l’ἄπειρος n’en est que plus probable. Mais si à cet égard on est dans l’erreur, et qu’Anaximène doive être rapproché de nous d’un demi-siècle, a-t-il pu rester complètement en dehors du cercle des idées nouvelles émises par Pythagore et par Xénophane ? A-t-il donc pu se maintenir absolument au point de vue d’Anaximandre ?

D’autre part, si nous avons une donnée authentique dans celle qui fait affirmer à Héraclite, même avant Parménide, l’unité et la limitation du monde[2], plus Anaximène sera rapproché de lui, plus nous pourrons trouver de points communs entre leurs opinions physiques, et plus il paraîtra singulier que la même doctrine soit professée en

  1. Je traduis sur le texte des Doxographi Græci d’Hermann Diels. Berlin, Reimer, 1879, p. 560, t.  16-17. Qui étudiera les Prolégomènes de cette excellente publication, reconnaîtra que je fais constamment emploi, comme acquis à la science, des résultats de la discussion serrée à laquelle y sont soumises les diverses sources d’où nous proviennent les renseignements sur les opinions physiques des anciens philosophes.
  2. Diog. Laërce. IX, 8.