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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/637

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TANNERY. — anaximène et l’unité de la substance

On le devine aisément pour peu qu’on fasse attention à la correspondance apocryphe qu’il donne comme échangée entre Anaximène et Pythagore.

La première lettre (II, 4) est supposée écrite par le premier pour annoncer au Samien la mort de Thalès. Le faussaire est bien dans la tradition qui place vers cette époque la floraison d’Anaximène. La réponse de Pythagore manque[1] ; mais comme on le voit d’après la seconde lettre d’Anaximène (II, 5), elle devait annoncer le départ du Samien pour Crotone. Que cette seconde lettre d’Anaximène soit supposée relativement voisine comme date de la première, c’est ce qu’on voit d’après l’indication sur la tyrannie alors exercée à Samos par les fils d’Eaque et non par Polycrate seul[2]. En même temps Anaximène parle du danger qui menace l’Ionie de la part des Mèdes, considère la situation comme désespérée, et se voit déjà mort ou captif.

C’était évidemment assez pour décider un biographe à adopter cette époque comme celle de la mort du physiologue.

En résumé, on se trouve en présence de deux traditions différentes, celle des auteurs de Successions, et celle d’Apollodore. La première nous représente Milet comme le siège d’une école toute semblable à celles qui fleurirent plus tard à Athènes[3] : elle paraît inventée à plaisir ; nous ignorons néanmoins si elle ne repose pas sur quelque document sérieux. La seconde se fonde sur un témoignage isolé, et quelque valeur qu’on attribue à sa source, on n’est point garanti contre la possibilité, soit d’une erreur d’origine, soit d’une corruption du texte. Pour peser les probabilités en faveur de l’une ou de l’autre des deux traditions, il faut nécessairement faire intervenir l’examen des opinions d’Anaximène.

Si Apollodore, comme nous le croyons, n’a pas fixé la date de la mort d’Anaximène, nous devons cependant remarquer qu’en 496 Milet fut ruinée par les Perses et la population réduite en esclavage. Faut-il supposer qu’Anaximène échappa à ce terrible désastre ? Faut-il le faire réfugier à Lacédémone où Pline[4]nous le montre installant un gnomon ? à Lampsaque, colonie de Milet, où le nom d’Anaxi-

  1. Diogène Laërce (VIII, 49) ne donne que celle à la seconde lettre d’Anaximène.
  2. Voir Hérodote III, 39. Il s’agit donc dans ce qui vient ensuite de la conquête de l’Ionie par les Perses, conquête qui suivit immédiatement la prise de Sardes par Cyrus. Le faussaire ignore ou néglige ce que dit Hérodote, I, 141. que Milet traita aussitôt avec le conquérant sur le même pied qu’avec le Lydien.
  3. Voir la première lettre d’Anaximène à Pythagore.
  4. Hist. nat., II 76.