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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/639

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TANNERY. — anaximène et l’unité de la substance

Cette conception du monde est à très peu près identique à celle des Chaldéens[1], tandis qu’elle diffère essentiellement de toutes celles que l’on peut constater chez les Hellènes, antérieurement à Anaximène. À la vérité, elle ne présente pas assez de singularité pour qu’on doive lui attribuer nécessairement une source orientale ; mais si l’on rejette les conclusions à tirer de ce rapprochement, ce ne peut être évidemment que pour affirmer l’originalité absolue du Milésien.

En tout cas, le progrès qu’elle révèle au point de vue scientifique est double : d’une part les étoiles fixes que Thalès devait placer à la même distance que les autres astres, qu’Anaximandre mettait entre la terre et la lune, sont rejetées aux confins du monde et les phénomènes de leur mouvement reçoivent une explication, certainement bien grossière à nos yeux, mais dont nous ne pouvons nier la simplicité, la parfaite concordance avec l’observation (pour les anciens), et la merveilleuse commodité pour l’établissement de la théorie : d’un autre côté, les cinq planètes sont pour la première fois distinguées des étoiles fixes, et assimilées nettement pour les conditions de leurs mouvements, au soleil et à la lune[2].

À la vérité, la tradition attribue de fait à Pythagore les mêmes connaissances astronomiques ; Parménide[3] lui aurait notamment reconnu la gloire d’avoir le premier identifié l’étoile du matin et l’étoile du soir, enseignement qui paraît s’être répandu en Grèce par des vers du poète Ibycus de Rhégium[4]. Si d’ailleurs Anaximène semble s’être prudemment gardé de spéculer, à l’exemple d’Anaximandre, et comme devait le faire l’école pythagorienne, sur les distances des astres, il paraît bien avoir adopté l’ordre des planètes de cette école, ainsi que nous le verrons un peu plus loin. On pourrait y voir une preuve de la connaissance par Anaximène de doctrines

  1. Voir notre essai : Thalès et ses emprunts à l’Égypte dans la Revue philosophique, IX, pp. 316-317. Nous y avons admis (p. 313), avec Ed. Zeller, que pour Anaximène, les astres ne continuent pas leur route circulaire au-dessous de l’horizon, mais de leur coucher à leur lever, contournent latéralement le plateau terrestre. Cette représentation est évidemment inconciliable avec celle de la voûte céleste solide, et Teichmüller a rétabli la juste explication du texte d’Hippolyte, en montrant d’ailleurs que quand Aristote parle de « météorologues anciens » (Meteor., II, 1) comme ayant émis cette opinion du mouvement latéral, il en a vue Phérécyde, Stésichore, Mimnerme, et quelques auteurs semblables (voir notre essai : Thalès etc., p. 316). À cette liste, suivant nos conclusions dont Teichmüller a bien voulu reconnaître la justesse, il faudrait ajouter Thalès.
  2. Hippolyt. phil. 7. καὶ ἥλιον καὶ σελήνην καὶ τὰ ἄλλα ἄστρα πάντα (Ce dernier mot est inexact) πύρινα ὄντα ἐποχεῖσθαι τῷ ἀέρι διὰ πλάτος.
  3. Diog. L. VIII, 14.
  4. Achill. Isagog. ad Arati phænomena, ed. Petau, 136, C.