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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/646

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grossière en thèse générale, plus elle retarde en réalité sur les connaissances de son temps, plus la coïncidence de certains points spéciaux de doctrine astronomique, chez lui et chez Anaximène, pourra faire croire ou que le théologue d’Éphèse connaissait les opinions du physiologue de Milet, ou qu’il puisait dans un courant d’idées devenues communes depuis ce dernier.

Remarquons donc cette opinion d’Héraclite (Diogène Laërce, IX, 10). « La flamme du soleil est la plus chaude ; car les autres astres sont plus éloignés de la terre, et échauffent donc d’autant moins : si la lune au contraire est plus voisine, elle circule dans un espace moins pur. Le soleil est, lui, dans un milieu parfaitement transparent et sa distance de nous est convenable. Aussi donne-t-il le plus de chaleur. »

Comparons Anaximène (Hippolyte.7) : « Les astres (autres que le soleil) n’échauffent pas à cause de la grande distance où ils se trouvent. » Cette donnée tranche la question de la position qu’il assignait au soleil par rapport aux étoiles fixes et aux cinq planètes, placées au contraire par Anaximandre au plus près de la terre. Mais renversait-il absolument l’ordre admis par le premier Milésien et ne laissait-il pas la lune entre nous et le soleil ?

Nous pouvons reconnaître une trace de son opinion dans un passage d’ailleurs corrompu[1] qui indique qu’Anaximène attribuait la chaleur du soleil à la rapidité de son mouvement. Les autres étoiles, étant plus éloignées, devaient donc pour lui être en réalité plus chaudes encore, quoique l’effet ne s’en fit pas sentir. Mais si un astre est moins éloigné que le soleil, dans cette théorie, son feu peut être beaucoup moins actif et ne pas être sensible malgré le rapprochement. L’expression καὶ μάλ’ ἱκανῶς du passage cité en note semble bien indiquer que comme Héraclite, Anaximène admet que la distance du soleil correspond à un maximum pour l’effet thermique de l’astre sur la surface de la terre.

Nous avons une autre raison pour conclure qu’Anaximène devait placer la lune au plus près de nous. Il attribuait à la résistance du milieu où flottaient les astres errants la différence entre leur mouvement et celui des étoiles fixes. Cette hypothèse, ingénieusement développée par lui pour les mouvements en déclinaison, ne se prêtait malheureusement pas à la déduction scientifique, dans l’état des connaissances d’alors, et quelle que fût sa valeur, son abandon

  1. Plutarque, Strom. 3. Doxographi Græci, p. 580, 4, ἀποφαίνεται γοῦν τόν ἥλιον γῆν, διὰ δὲ τῆν ὀξεῖαν κίνησιν καὶ μάλ’ ἱκανῶς θερμότητα λαβεῖν. L’idée que le soleil est une terre est, comme le prouve le contexte, conclue par le compilateur lui-même de ce que l’origine du soleil était pour Anaximène la terre (ses vapeurs).