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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/648

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par son précurseur, dont il maintenait les principes fondamentaux : l’éternité de la matière et du mouvement révolutif, la formation et la destruction périodiques du monde.

Pour couronner cette étude, nous avons à nous demander si comme penseur, il mérite la place qu’il a gardée dans l’histoire de la philosophie. Oui, sans doute, à nos yeux du moins ; car il a, à son tour, soulevé un de ces problèmes qui sont à la limite incertaine de l’inconnaïssable, qui semblent fuir devant la science à mesure qu’elle progresse, et qui cependant s’imposent presque nécessairement à elle. Il a le premier affirmé avec précision l’unité de la matière au plutôt de la substance, car son « air indéterminé » est susceptible de sensation, d’intelligence et de volonté, de même que les corps qui en sont formés se trouvent susceptibles d’être sentis, pensés et actionnés.

Le premier, car Thalès n’avait pas écrit, et toute autre chose est d’émettre une idée plus ou moins vague, autre chose de la développer dans toute son étendue, Anaximandre en donne la preuve ; lui aussi devait croire à l’unité de la substance ; cette croyance est si naturelle, je dirais presque instinctive ! Sans elle aurait-il essayé de décrire le monde comme constitué et organisé par un principe unique ? Mais au cours de sa tâche, ses expressions trop métaphoriques laissèrent planer un voile sur le caractère de sa pensée ; on put les interpréter comme si le principe originaire avait été un mélange mécanique, d’où le mouvement sépare les choses déjà existantes sans avoir à les former en réalité. Anaximène au contraire attribue nettement au mouvement éternel, la constitution des différents corps, leur séparation et leurs transformations réciproques. Il a pleine conscience de la question, ce qui manquait encore à son précurseur.

Depuis le temps des Ioniens, la philosophie a singulièrement restreint le problème ; sous l’influence de préoccupations d’ordre moral ou de préjugés religieux, on a cherché ä établir l’existence de substances autres que la matière ; les partisans de l’opinion contraire ont reçu une qualification qui a pris un caractère dédaigneux ; quant à savoir si la matière est une en réalité, c’est un point qu’on a admis implicitement, tout en laissant à la science le soin de l’établir.

Pourtant, malgré les tendances auxquelles je viens de faire allusion, nous avons un besoin tellement inné de projeter sur la pluralité externe l’unité qui nous apparaît comme le caractère de notre être propre, que le dualisme n’a jamais pu triompher sérieusement en philosophie. Les penseurs unanimement reconnus comme les plus profonds, ont tous au moins rêvé une unité supérieure, transcendante ou